2013
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Ludovic Mevel, « Les premières sociétés aziliennes : nouvelle lecture de la genèse du phénomène d’azilianisation dans les Alpes du Nord à partir des deux niveaux d’occupation de l’abri de La Fru (Saint-Christophe-la-Grotte, Savoie) », Bulletin de la Société préhistorique française, ID : 10.3406/bspf.2013.14319
L’avènement des traditions techniques aziliennes a alimenté de nombreux débats ces dernières années. L’analyse des industries lithiques a eu une place centrale pour nourrir ces débats. La révision des séries attribuées à la phase ancienne de l’Azilien provenant de l’abri de La Fru (Saint-Christophe-la-Grotte, Savoie) va nous permettre de proposer une nouvelle lecture de ce faciès en dehors du Bassin parisien et d’évoquer la genèse du phénomène d’azilianisation dans ce contexte. L’abri de La Fru est à l’heure actuelle un des gisements les plus riches connus pour la fin du Paléolithique supérieur d’Europe occidentale. Il a livré des occupations s’échelonnant du Magdalénien supérieur (17000 cal. BC) au Mésolithique moyen (9000-8200 cal. BC) à l’intérieur de trois secteurs de fouilles distincts (aires 1, 2 et 3). Les occupations de la phase ancienne de l’Azilien sont localisées dans l’aire 1 (couche 3) et dans l’aire 2 (couche 3). Les nombreuses et fiables datations 14C obtenues situent l’occupation du site par les Aziliens anciens entre 12300 et 11300 cal. BC. Cependant, l’absence de calage chrono-environnemental à l’échelle du site n’autorise pas de rapporter ces occupations à une chrono-zone du Tardiglaciaire. Les séries de l’abri de La Fru, et en particulier la couche 3 de l’aire 1, ont déjà fait l’objet de nombreux travaux. Cependant, ces assemblages n’avaient jamais été évalués d’un point de vue taphonomique et techno-économique. C’est pourtant l’association de ces différentes grilles d’analyse qui permet d’intégrer ces gisements issus de contextes karstiques à une discussion sur l’évolution des dernières sociétés du Tardiglaciaire à l’échelle européenne. Notre objectif a donc d’abord consisté à documenter précisément le contenu de chacune des collections attribuées à la phase ancienne de l’Azilien à l’aide de méthodes d’analyse modernes, pour ensuite confronter ces résultats aux séries aziliennes qui sont à ce jour les mieux connues et surtout les mieux documentées (Le Closeau, Bois-Ragot, etc.) et proposer ainsi une nouvelle lecture du début de l’Azilien. La première étape de cette analyse a donc consisté en une analyse archéostratigraphique des séquences archéologiques disponibles. Elle a permis de mettre en évidence des degrés de perturbations différents. Dans l’aire 1, l’ensemble lithique de la couche 3 est le résultat d’un palimpseste d’occupations des phases anciennes et récentes de l’Azilien. Nous avons donc mis en évidence deux composantes techno-économiques. L’aire 2, et la couche 3 en particulier, ont été moins affectées par les perturbations post-dépositionelles. Une composante magdalénienne a toutefois été isolée. L’analyse technologique comparée de ces ensembles de l’Azilien ancien a permis de mettre en évidence des similarités et des différences entre les deux assemblages. Les objectifs de production sont similaires dans les deux collections. La première étape de la chaîne opératoire vise la production de lames de 70 à 100 mm destinées à être transformées en outils du fonds commun. Les procédés techniques sont identiques entre les deux collections. On notera simplement que dans l’aire 1 les lames les plus régulières ont servi de supports aux burins, alors que dans l’aire 2 elles ont servi de supports aux grattoirs. Les lames plus courtes (≤ 60 mm), produites dans un second temps de la chaîne opératoire, ont servi de supports à la fabrication des pointes lithiques. Dans les deux collections, elles ont été confectionnées sur des lames régulières. On note toutefois la présence de deux types distincts : des bipointes et des monopointes. C’est une caractéristique partagée avec l’occupation du gisement de Bois-Ragot (Vienne). À La Fru, cette coexistence de deux types de pointes à dos pendant la phase ancienne de l’Azilien est perçue selon un prisme économique. En effet, ce sont les lames les plus courtes, probablement extraites lors des derniers stades de l’exploitation des blocs, qui ont été transformées en monopointes. Les plus longues ont été transformées en bipointes. Aussi, que l’on se place sur un plan typologique ou technologique, l’Azilien ancien de l’abri de La Fru présente des similarités importantes avec des gisements contemporains ou sub-contemporains, depuis la barrière pyrénéenne jusqu’au Nord du Bassin parisien. Si dans certains espaces géographiques comme le Bassin parisien on voit apparaitre des pointes à dos dans l’équipement lithique des Magdaléniens, ce n’est pas le cas dans les Alpes du Nord. Aussi, ces secteurs géographiques ont pu jouer le rôle d’épicentre de diffusion de nouvelles pratiques techniques. L’apparition presque synchrone de l’Azilien ancien ne laisse guère de doute sur le caractère global du processus ayant présidé à ces transformations. Peut-on encore envisager une azilianisation au cas par cas, dans chaque substrat magdalénien régional ? Au regard de la très forte similarité constatée des industries lithiques et des comportements de ces groupes, il paraît à peu près assuré que ces changements dans les traditions ont été diffusés à partir d’un épicentre qui a durablement transformé les sociétés magdaléniennes. Les réseaux d’échanges, ou de circulations, évoqués à propos du Magdalénien supérieur, ne contredisent pas l’hypothèse d’une diffusion rapide de ces nouvelles idées. Sont-elles nées dans des contextes où les adaptations aux changements des environnements (animaux et végétaux) nécessitaient une réponse rapide et radicale de la part des Magdaléniens, préalablement à une diffusion sur les territoires voisins ? C’est une hypothèse qui nous apparaît parfaitement crédible en l’état actuel de nos connaissances.