2014
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Randall White et al., « Uranium-series dating of carbonate formations overlying Paleolithic art : interest and limitations », Bulletin de la Société préhistorique française, ID : 10.3406/bspf.2014.14395
La méthode de datation par les déséquilibres dans la série de l’uranium (Uranium-Thorium ou U/ Th), développée il y a une cinquantaine d’années, a prouvé son utilité et sa fiabilité pour dater des carbonates secondaires en milieu marin (coraux) ou continental (spéléothèmes). Associée à la datation 14C sur les coraux et spéléothèmes, elle contribue à l’établissement des courbes de calibration de cette méthode pour les derniers 50 000 ans (Bard et al., 1990 ; Hoffmann et al., 2010 ; Reimer et al., 2013). L’amélioration des techniques analytiques (thermo-ionisation mass spec trometry – TIMS, puis multicollector-inductively coupled plasma mass spectroscopy – MC-ICPMS, et l’ablation laser à laquelle elle peut être couplée) en autorisant la datation U/ Th de très petits échantillons, accroît les possibilités de cette méthode. Son application aux voiles de calcite déposés sur des parois ornées (gravures ou peintures) s’est développée au cours des dernières années. Les données chronologiques obtenues représentent, selon l’emplacement du dépôt carbonaté daté par rapport au décor pariétal, un terminus ante quem (situé sur la peinture) ou un terminus post quem (situé sous la peinture). D’abord anecdotiques et limitées à de rares gisements (Bischoff et al., 2003 ; Plagnes et al., 2003 ; Pike et al., 2005 ; Fontugne et al., 2013), ces applications sont devenues plus nombreuses récemment. Ainsi, Pike et al. (2012) ont réalisé une cinquantaine de datations dans onze grottes ornées de la région cantabrique (Espagne), dont les résultats s’échelonnent entre 173 ± 9 et 41 400 ± 570 ans avant le présent. Des âges très anciens ayant été trouvés (supérieurs à 41 000 ans dans un cas), les auteurs ont émis l’hypothèse que certaines oeuvres pouvaient avoir été réalisées par l’homme de Néandertal. Bien que fondée sur un seul point de datation, cette hypothèse a été largement reprise par les médias. Le présent article décrit les difficultés présentées par l’utilisation de la méthode U/ Th sur des voiles de calcite. Ces difficultés sont liées, d’une part, à l’évolution géochimique de la calcite en relation avec la circulation hydrique au sein des cavités, qui peut parfois fausser les âges s’il y a eu échanges des radioéléments étudiés entre l’échantillon et son environnement au cours du temps («système ouvert » ), en particulier par lessivage de l’uranium (Plagnes et al., 2003). Elles sont liées d’autre part, à un apport initial possible de 230Th par le biais de matériel détritique qu’il faut prendre en compte pour corriger les résultats. Ainsi, il est important, lorsqu’il y a des variations notables des teneurs en uranium et des rapports d’activité 234U/ 238U, dans une même cavité, de tenter d’en expliquer les raisons en relation avec la géomorphologie de la grotte étudiée et de rechercher si les données permettent d’envisager un départ ou une arrivée tardive (système ouvert) de radioéléments. Il est donc fort regrettable que l’article de Pike et al. (2012) sur les grottes espagnoles ne présente pas les teneurs en uranium des échantillons datés et ne discute pas la variabilité des rapports d’activité 234U/ 238U. L’absence des teneurs en uranium coupe court à toute discussion sur la possible mobilité (départ) de ce radioélément par lessivage qui aurait conduit à un vieillissement des âges U/ Th et, de ce fait, il n’est pas possible d’apprécier la pertinence des données chronologiques, même si la mesure sur l’ICPMS, en elle-même, n’est pas à remettre en cause. À titre d’exemple, on peut calculer que si la teneur en uranium de l’échantillon qui a donné l’âge le plus vieux avait été à l’origine 10 % plus élevée (i. e. 10 % de l’uranium parti par lessivage), l’âge réel serait 37 000 ans et si elle avait été 15 % plus élevée l’âge réel serait 35 000 au lieu des 41 000 ans obtenus. Il est donc important, pour valider les âges, de vérifier que les conditions d’application de la méthode U/ Th sont réunies, voire de conforter les résultats de l’U/ Th avec ceux d’autres méthodes de datation. De fait, le 14C permet aussi de dater les formations carbonatées, même si son application à la calcite prélevée en grotte n’est pas exempte de problèmes, liés en particulier à la présence plus ou moins importante de carbone mort dont la proportion doit être estimée et prise en compte pour corriger l’âge (e. g. Goslar et al., 2000 ; Hua et al., 2012). Ainsi, la confrontation des résultats obtenus sur les mêmes échantillons par les méthodes U/ Th et 14C est une nécessité pour tester leur fiabilité et leur cohérence respective. Plusieurs exemples récents ont illustré l’intérêt de croiser ces deux méthodes sur les voiles de calcite recouvrant des peintures rupestres ou sur des spéléothèmes, pour démontrer la non validité des âges obtenus (systèmes ouverts), ou au contraire les conforter (e. g. Labonne et al., 2002 ; Plagnes et al., 2003 ; Fontugne et al., 2013). Mentionnons enfin que lorsque les dépôts recouvrant les oeuvres pariétales sont analysés sur toute leur épaisseur, on obtient des âges moyens qui peuvent être fort éloignés du geste créateur que l’on souhaite dater. En effet, la croissance des voiles de calcite est contrôlée principalement par des facteurs environnementaux (températures et précipitations à l’extérieur), cette croissance étant favorisée en période tempérée et humide, et ralentie ou arrêtée en période climatique froide et aride. Bon nombre de dépôts de calcite recouvrant les oeuvres sont tardiglaciaires ou Holocène (les derniers 12 000 ans) et donc bien postérieurs à la réalisation des tracés, ou ils datent d’un bref épisode de réchauffement du stage isotopique 3, ce qui nous rapprocherait de l’âge de la création. Les âges déterminés sur les voiles de calcite peuvent aussi représenter un âge moyen entre plusieurs phases de croissance. Quoiqu’il en soit, ces informations apportent des éléments de réflexion utiles, une fois que la validité des âges est vérifiée au plan méthodologique.