2016
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Kiche Leung, « Strategies of a Biomedical Hospital in 19th-century Canton: Materiality Advertised in Qizheng lüeshu 奇症略述 (Brief Account of Extraordinary Clinical Patterns), 1866 », Études chinoises. 漢學研究, ID : 10.3406/etchi.2016.1563
Dans cet article, nous essayons de comprendre comment les premiers missionnaires-médecins présents en Chine s’employèrent à attirer les patients vers les pratiques biomédicales occidentales en matière de chirurgie à une époque où celles-ci étaient encore en Chine marginales et en mal de reconnaissance. En prenant pour point de départ un texte méconnu, le Qizheng lüeshu («Aperçu des symptômes extraordinaires»), le premier texte en chinois à avoir été publié par l’Hôpital de Canton à l’initiative du médecin américain John Kerr (1824-1901), alors directeur de l’établissement, l’article explicite la stratégie de Kerr pour gagner à la cause de ces nouvelles pratiques médicales des patients chinois aux yeux de qui elles restaient encore tout à fait étrangères. Mettant en avant des descriptions illustrées, précises et crues, d’organes malades et d’instruments chirurgicaux «exotiques» concernant plus de 80 cas traités par l’hôpital entre 1858 et 1866, les auteurs du livre s’employaient à vaincre la méfiance du public cantonais des années 1860 en flattant son goût supposé pour les prodiges visuels ou cognitifs. L’ouvrage, s’abstenant de chercher à convaincre ses lecteurs de la supériorité théorique des pratiques biomédicales occidentales ou celle des institutions hospitalières qui les mettaient en œuvre, choisissait de les rendre attirantes en vantant simplement leur nouveauté et leur efficacité. Cette stratégie, qui veillait à ne pas contester la prééminence de la médecine traditionnelle chinoise, semble avoir été couronnée de succès, comme en atteste la nette augmentation des donations faites par des Chinois à l’hôpital à partir de 1867. Le Qizheng luëshu demeure le témoin d’une période remarquable, pendant laquelle médecine chinoise et biomédecine occidentale cohabitèrent innocemment, cohabitation qui devait être radicalement remise en cause par l’introduction de la théorie du germe invisible.