2011
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Abdeljalil Sghari, « Observations de karsts pliocènes fossilisés par des limons éoliens quaternaires dans les monts de Matmata (Sud-est tunisien) », Karstologia, ID : 10.3406/karst.2011.2688
La chaîne subméridienne du Dahar dans le Sud-est tunisien s'allonge sur plus 200 km ; elle est séparée de la Méditerranée par la plaine de Jeffara, large de quelques dizaines de kilomètres. Ce même paysage se prolonge au sud en territoire libyen. Au nord, la chaîne du Dahar se termine par les monts de Matmata qui forment un plateau large d'environ une dizaine de kilomètres, légèrement incliné vers l'ouest. Le talus oriental montre une stratification géologique à dominante calcaire d'âge allant du Permien supérieur au Sénonien. L'ensemble structural du Dahar-Matmata appartient à la plateforme saharienne et présente une lacune qui couvre tout le Tertiaire en raison de son émersion dès le Crétacé supérieur. A proximité, l'Atlas tunisien montre une évolution paléogéographique très différente avec une série tertiaire complète et une structuration plus tardive (Plio-Quaternaire). Les deux domaines paléogéographiques formant la Tunisie méridionale, l'Atlas saharien et la bordure nord-est de la plateforme saharienne, ont été touchés par la crise messinienne (5,9 Ma à 5,3 Ma). Celle-ci s'est traduite par l'effondrement du niveau marin méditerranéen qui a profondément modifié la dynamique fluviale avec une inversion du système d'érosion, d'une érosion normale à une érosion régressive. Il en a résulté un creusement de canyons à l'aval et un encaissement des cours d'eau en amont. Les structures géologiques au Messinien étaient fortement exposées à ces grands bouleversements eustatiques et paléogéomorphologiques, avec en particulier l'incision de cluses dans l'Atlas et surtout la mise en place d'une épaisse série argilo-gréseuse dont nous avons reconnu récemment les caractéristiques deltaïques et les rapprochements avec les Gilbert-deltas. Le rétablissement des communications entre l'Atlantique et la Méditerranée et le remplissage rapide de cette dernière au Pliocène inférieur (transgression zancléenne) dont nous avons montré la portée remarquable dans le Sud tunisien ont eu des conséquences multiples dans cette région. En effet ce nouvel ordre géographique, coïncidant avec une humidification climatique confirmée dans plusieurs travaux par l'extension de la faune et de la flore tropicales en Afrique du nord, avait stimulé une importante karstification sur les terrains calcaires. Dans la chaîne du Dahar, de nombreuses formes ont été creusées telles que des grottes, dolines, dépressions karstiques ou vallées karstiques sèches dont les plus spectaculaires sont développées dans les monts de Matmata. Les dépressions karstiques sont incontestablement les formes qui représentent le mieux cette karstification pliocène qui a sans doute été précocement interrompue car le creusement n'a pas eu le temps d'atteindre un endokarst localisé dans les couches moyennes de la série sédimentaire. L'épisode karstique à Matmata (5,4 Ma-4,0 Ma) a donc duré deux fois plus longtemps que la crise messinienne. Cette interruption est due à un réchauffement climatique et à l'installation de l'aridité qui s'accentue durant le Pliocène en provoquant l'assèchement et la pulvérisation des horizons supérieurs des sols. Dès le début de l'aridification au Pliocène moyen, une croûte calcaire se forme par la cristallisation rapide de la boue qui a été instantanément évacuée des zones karstifiées vers la plaine littorale de Jeffara. Ce transfert de calcaire dissous a été à l'origine de la généralisation d'une croûte calcaire résistante dans la Jeffara. Si sa présence dans la plaine est largement connue, il n'en va pas de même pour le plateau de Matmata où nous l'avons identifiée au fond d'une dépression karstique, ce qui ouvre la voie à de nouvelles interprétations géomorphologiques mais aussi tectoniques et incite à revoir l'attribution des limons éoliens de Matmata au Pléistocène supérieur. Plus tardivement, au Pliocène supérieur-Gélasien, on observe un soulèvement tectonique général de la chaîne du Dahar et des monts de Matmata, accompagné de l'effondrement de la plaine de Jeffara à partir de la faille de Medenine (NW-SE) qui prolonge vers l'est le grand accident tectonique de la faille de Gafsa. Les paléoformes karstiques se sont alors trouvées surélevées à plus de 500 m d'altitude mais demeurent cependant ouvertes sur la plaine de Jeffara à travers de vastes trouées. En conséquence, les dépressions karstiques de Matmata ont évolué en pièges à limons éoliens comblés par une déflation éolienne sur la plaine de Jeffara lors de l'aridification extrême du Pliocène supérieur-Gélasien. La reconstitution morphologique depuis le Messinien montre une succession d'événements de grande importance survenus au Pliocène mais qui ont fortement marqué le Quaternaire. Tout autorise à rejeter l'idée d'un apport des limons de Matmata venus de la région occidentale (erg oriental).