2005
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Bruno Simmen et al., « Richesse en métabolites secondaires des forêts de Mayotte et de Madagascar et incidence sur la consommation de feuillage chez deux espèces de lémurs (Eulemur spp.) », Revue d'Écologie (La Terre et La Vie) (documents), ID : 10.3406/revec.2005.1278
Nous avons comparé la richesse en composés phénoliques et en alcaloïdes de six massifs forestiers tropicaux (quatre forêts denses humides plus une forêt sèche dans l’île de Mayotte, et une forêt humide anthropisée à Madagascar). Les dosages ont porté sur les phénols totaux, les tannins condensés, les alcaloïdes totaux présents dans les feuilles des lianes, des arbres et des palmiers, et ont été complétés par un test de précipitation de l’albumine de sérum bovin (BSA). Les profils chimiques ont été établis pour chaque site en pondérant les concentrations de métabolites dans les feuilles matures des arbres par l’abondance relative de ceux-ci (d’après les recensements sur transects et les mesures de diamètres). Les alcaloïdes sont généralement peu fréquents, à l’exception du site anthropisé où les manguiers et les anacardiers ont été introduits. Au contraire, la richesse en phénols totaux, en tannins condensés, ou en métabolites précipitant la BSA diffère considérablement entre les forêts en fonction de la prédominance locale de certaines espèces à fortes concentrations en composés phénoliques. Cette variabilité s’accorde difficilement avec la prévision théorique d’une même «tactique» de défense chimique des plantes contre les herbivores (tannins versus alcaloïdes, sensu Lebreton ou Feeny) dans les milieux à faible diversité spécifique. La nature insulaire de la plupart des forêts étudiées, avec des peuplements relativement récents, peut cependant déterminer les particularismes locaux des processus coévolutifs liant les populations d’herbivores et de végétaux. La relative pauvreté en phénols et en alcaloïdes des forêts humides de Mayotte pourrait aussi s’expliquer par des conditions édaphiques (sol fertile sur un socle volcanique) favorables au renouvellement à coût limité des tissus végétaux endommagés, selon la théorie de Coley et al. (1985). Les espèces de primates frugivores-folivores (Eulemur fulvus et Eulemur macaco) habitant les forêts étudiées se différencient nettement quant à leur tolérance vis-à-vis des composés phénoliques. Contrairement à E. fulvus, les choix alimentaires de feuilles par E. macaco sont négativement corrélés à la teneur en phénols totaux et à la capacité de précipiter la BSA. Les différences interspécifiques de tolérance sont discutées en relation avec la possibilité d’élargir le répertoire alimentaire, les densités de population et l’ubiquité d’une espèce de lémurien par rapport à l’autre. La relation positive entre phénols totaux et efficacité de précipitation de la BSA (alors qu’elle est faible ou nulle entre tannins condensés et BSA), suggère que la mesure des phénols totaux, de préférence aux tannins condensés, soit intégrée à l’analyse prédictive des densités de primates consommateurs de feuillage en fonction de la qualité nutritionnelle de l’environnement.