Lettre de Jean-Jacques Hilaire Sylvestre Daudé de Tardieu de Labarthe à Jean-François Séguier, 1779-02-26

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26 février 1779

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CC-BY-4.0 , Bibliothèque Carré d'Art, Nîmes



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Lutèce

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Jean-Jacques Hilaire Sylvestre Daudé de Tardieu de Labarthe et al., « Lettre de Jean-Jacques Hilaire Sylvestre Daudé de Tardieu de Labarthe à Jean-François Séguier, 1779-02-26 », Archives savantes des Lumières. Correspondance, collections et papiers de travail d'un savant nîmois : Jean-François Séguier (1703-1784), ID : 10.34847/nkl.171dgh63


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Résumé

[transcription] 26 février 1779. Je vous tracasse mon cher ami, je le sens bien, mais il me semble que toutes les personnes du monde sont pour moi réunies en vous seul. J’aurais même besoin d’être dorénavant à portée et à côté de votre maison. Je ne sais même si cette position ne me deviendra pas d’une nécessité absolue. Mon amitié se tourne en passion et on me reproche ici que je ne sais que parler de M. Séguier et que [je] n’ose penser et agir que d’après lui. Je m’aperçois en effet que je vous consulte sur tout et que je serais au désespoir de n’avoir point de prétexte pour le faire. Dieu soit béni, je vous ai pris pour mon souffre-douleur quoique que vous soyez en correspondance avec toute la terre. M. Reynaud m’a appris la mort de sa belle-fille par le même courrier. Cette nouvelle a si fort dérangé mes organes que j’ai depuis 24 heures une diarhée fort incommode pour m’empêcher de dire la messe et si cette femme avait été ma sœur, je ne la plaindrais peut-être pas davantage et si Génas n’avait pas eu l’habitude de vivre avec elle, ce qui à la longue émousse le sentiment de l’appréciation, il deviendrait fou de chagrin car il est précisément dans l’âge où cette affection de l’âme s’y fait le plus violemment sentir. Les enfants et les vieillards ne regrettent rien, j’ai à ce sujet écrit quelques expériences qui vous étonneraient. Je vous remercie de m’avoir adressé à M. Calvet à qui j’ai envoyé 28 louis avec un catalogue dont les prix sont fixés et convenus sur ceux des libraires que j’ai reçus. Je vous avoue que j’ai balancé à m’adresser à un médecin et premier professeur d’une université et il faut que vous ayez la plus grande candeur dans l’âme pour ne pas avoir hésité à me procurer cette adresse parce que vous êtes de tous les hommes le meilleur ami, le plus complaisant et peut-être le plus pénible. Vous ne vous doutez pas qu’on puisse avoir une façon de penser différente pour moi qui ai le malheur de ne pas avoir votre riche caractère. Je l’ai prié de se chargerseulement de mon argent et de se faire suppléer pour la vérification des éditions et autres défauts que je crains par quelqu’un qui puisse lui en épargner la peine. Tout cela même ne suffit pas, je crois qu’il est décent et honnête que vous lui écriviez dès que vous aurez lu cet article pour le remercier en votre nom et au mien. Ce bon procédé est même de rigueur. Vous croyez donc, mon cher ami, que j’achète des livres pour avoir des livres, ce n’est pas cela. Il n’en entrera jamais aucun dans mon cabinet que je n’aie lu dix fois ou que je ne lise autant si Dieu me laisse traîner une existence encore quelques temps. Figurez-vous que j’ai eu souvent le courage de lire des dictionnaires d’un bout à l’autre sans omettre une syllabe. Tout ce que j’aimais a cédé à cette passion de lire. Il y a même longtemps que je ne fais plus de musique, ma seule récréation est de changer de lecture. Cependant je me suis arrêté et ma commission d’Avignon sera la dernière qui exigera une lettre de change. Je n’achèterai que des livres détachés, et ceux qui seront un besoin indispensable à mon fils. Voici l’argent que j’y ai mis, je fais cette opération par curiosité, n’ayant jamais calculé cet objet. [fol. 116 v] Mon père me laissa un fonds de livre de la valeur à peu près de 600 lt. En 1772, j’achetai à Paris pour 900 lt. En 1775, j’en ai acheté à Paris pour 600 lt. En 1778, envoyé à Paris 800 lt. À Nîmes 400 lt. À Avignon 672 lt. En souscription 500 lt. En livres détachés 200 lt. 4 670 lt. Notez que je n’ai aucun livre véritablement cher que la nouvelle histoire générale que M. Le Tourneur a traduit de l’Anglais, que l’essai sur la musique de Laborde, l’édition en 42 volumes du dictionnaire de l’Académie française, une bible polyglotte, la bible rare de Robert Etienne, l’Histoire eccélsiastique de Fleury par souscription et Plutarque de Vascosel, le grand Digeste, le grand Cujas, le dictionnaire de physique de Saverien et deux grands ouvrages d’architecture. Tout le reste est commun, mais en général très bon et dans presque tous les genres. Si vous ne connaissez pas l’excellent ouvrage de Fournier Lejeune sur les caractères d’imprimerie, faites-vous le prêter, vous avourez qu’il n’y a peut être pas de livres aussi bien faits quant au fonds et à la forme. Vous voyez qu’il me manque des Atlas.C’est à quoi je vais travailler et je commence à avoir d'excellents renseignements à ce sujet. Tout cela fini, je m’occuperai à meubler mon salon de compagnie, parce que c’est la seule pièce de ma maison qui ne l’est pas. Après cela, je ramasserai pour envoyer mon chevalier à Rome où je veux qu’il reste quelques temps. Mon aîné est absolument déterminé à servir malgré moi. Il faut que je consente par force et je cherche à le placer dans l’infanterie où l’on se fait casser la tête sans avoir besoin de savoir ni A ni B. Je n’avais aucune espèce d’idée de la langue italienne. Un de nos grands vicaires qui se pique de la bien écrire, s’est avisé de me faire une lettre qui exigerait une prompte réponse. Je me suis fait prêter la grammaire de Venerois et son dictionnaire qui ne vaut rien. Je l’ai traduite, j’ai étudié deux jours avec application et j’ai fait une réponse de deux pages qui me coûte dix ou onze heures de travail. Je me suis piqué au jeu et j’étudie la grammaire comme un écolier qui craint les étrivières. On m’enverra le dictionnaire d’Alberti et je prétends ne vous écrire dorénavant que dans cette langue. Si vous m’appelez à Nîmes, je n’en veux pas parler d’autres avec vous. J’espère que vous pousserez la complaisance jusqu’à m’encourager. Autant vaut savoir l’italien qu’autre chose, et d’ailleurs c’est un plaisir de plus qui ne sera pas puni en purgatoire. Mon procureur m’écrit que mon cher Montialoux a fait signifier de nouvelles écritures. Il faut que ce nouveau procureur veuille se distinguer dans ses premières armes, il est aussi âpre à la curée que feu Brigandeau. Je vous prie de vous les faire remettre et de les communiquer à Génas pour savoir si on dit des raisons neuves et qui présent m’engagent à écrire.Alors donnez, je vous prie, ordre à mon procureur de me les envoyer par Gache et je répondrai moi-même, sinon engagez-le à remettre le procès à M. Magne. Au bout du compte cet [fol. 117 r] homme, d’où il est caution solidaire sans division ni discussion, ayant succédé par sa femme aux biens chargés de cette caution, bona non dicentura nisi deducto aere aliens. Tous les capucins du monde avec toute leur barbe et tout le papier marqué de l’Europe ne sauraient détruire une dette assise sur un contrat. Voyez avec Génas si je dois venir. J’abandonnerai tout pour faire juger ce maudit procès qui dure depuis si longtemps et qui me fait perdre 50 écus de rente. Puisque vous avez des amis à Montpellier, tels que M. Gouan et la personne avec qui vous vouliez me mettre en connaissance, tirez-moi je vous supplie sur le moyen d’une maudite affaire qui traîne depuis 18 ans.Je ne puis être payé de mes rentes sur le roi, on me renvoie de Ponce en Pilate. Actuellement on me demande un certificat du dernier paiement fait à mon père (noble Jean-Jacques Daudé de Tardieu de Labarthe). Ce paiement a été fait en 1770. Le registre est au greffe de la province et l’on doit payer à Montpellier 71 et 72. Au moyen de ce certificat, on dit que je serai payé à Paris, en attendantje pourrai peut-être aussi me faire payer les 2 années 71 et 72 à Montpellier. Si on m’instruit de la façon dont je dois m’y prendre. Dites je vous supplie un mot à mon procureur là-dessus. Je sais que vous êtes très occupé et je sais encore que je suis à votre égard d’une indiscrétion atroce, mais mettez-vous à ma place et avec le fonds de bonté que vous avez, vous calculerez le degré de nécessité où je suis de m’adresser à vous. Je ne connais personne et je suis isolé au milieu des montagnes. Mes amis n’existent plus et je n’ai que vous. Il me semble aussi que vous réunissez toute l’amitié que j’avais pour chacun d’eux. Labarthe, Maruège, le 26 février 1779.

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