4 juillet 2023
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Serena Mazzone, « Le théâtre de Buzzati : regarder l’invisible », Arts et Savoirs, ID : 10.4000/aes.5960
La dramaturgie de Buzzati se caractérise par un réseau d’interconnexions et un multilinguisme qui mobilise des éléments théâtraux d'origines diverses, dont le sens est sans cesse décontextualisé voire redéfini. Les liens avec le théâtre de l’absurde, avec la littérature fantastique, avec l’existentialisme (Albert Camus) filtré par un lyrisme tout proche de Leopardi, créent un théâtre visionnaire et symbolique dans lequel les questions de l’homme prennent forme sur scène, avec le sens du mystère qui les accompagne : l’invisible devient chair, accentuant ainsi sa propre action perturbatrice. L’homme évolue dans un univers qu’il ne peut déchiffrer, à la merci de forces auxquelles il ne peut s’opposer, et le destin, souvent cynique et moqueur, semble écraser toutes ses aspirations. La condition existentielle tragique de l’homme se dilue néanmoins dans la vocation morale qui résulte d’une satire des mœurs particulièrement accentuée, évoluant en équilibre entre nihilisme et aspiration fidéiste ; une perte de sens qui aboutit à une sorte de « fatalisme » philosophique très proche de l’ironie de Jacques le Fataliste de Diderot. Dans un équilibre suspendu entre un mystère sans nom et un mystère qui prend la forme d'une « révélation », l’exploration des zones d’ombre qui entourent l’homme s'enveloppe d’une transcendance où le sens du sacré, perdu dans un monde dominé par la rationalité et la productivité, s’élève à la modalité du « sentir », pour finalement s’incarner dans le rite même du théâtre : la scène récupère le « regard » de l’homme qui pousse à la rencontre avec l’invisible, quelle que soit la conception que l’on en ait.