26 juin 2020
https://www.openedition.org/12554 , info:eu-repo/semantics/openAccess
de Fornel Michel, « Le destin d’un argument : le relativisme linguistique de Sapir-Whorf », Éditions de l’École des hautes études en sciences sociales, ID : 10.4000/books.editionsehess.19731
Cet article présente un programme d’orientation socio-pragmatique d’étude des pratiques argumentatives dans les sciences sociales. Tout en se situant dans le prolongement de la démarche novatrice du courant pragma-dialectique, ce programme rompt avec le point de vue normatif qui l’anime et montre qu’on ne peut étudier les pratiques argumentatives d’une discipline sans reconstruire par enquête les éléments pertinents du contexte d’énonciation et des dimensions sociologiques en jeu et sans déterminer pour chaque domaine scientifique concerné les étapes argumentatives qui sont en vigueur, ainsi que les normes pragmatiques qui les régissent. Ce programme est mis à à l’épreuve dans un domaine particulier, celui de la linguistique. Après avoir précisé l’état des recherches concernant ce dernier, on prend comme exemple les débats qui ont été suscités par l’argument du relativisme linguistique de Sapir-Whorf. La discussion s’est figée autour de la co-existence de deux pôles, critique et empirique, qui présentent la particularité de ne pas avoir compris le véritable positionnement argumentatif de Whorf. Contrairement à ce qu’a soutenu le pôle empirique, sur l’identification des corrélats cognitifs montrant l’influence du langage sur la pensée. Contrairement aux affirmations du pôle critique, ce dernier n’a pas cherché à défendre l’hypothèse selon laquelle la grammaire d’une langue engendrerait un système conceptuel particulier ou une vision du monde singulière. Rétrospectivement, il est clair que le pôle critique, et particulièrement les philosophes, a mobilisé les pratiques argumentatives les plus dommageables pour l’hypothèse du relativisme linguistique. En traitant l’hypothèse de Whorf comme une hypothèse philosophique, le parti philosophique l’a évaluée en fonction des normes pragmatiques qui régissent les pratiques argumentatives du champ philosophique. À leur décharge, comme à celle du pôle favorable et empirique, il faut reconnaître que les arguments de Whorf ne pouvaient guère être correctement compris tant que son point de vue sous-jacent – sa thématique de recherche – restait opaque. La stratégie argumentative de Whorf aurait exigé, pour être perçue adéquatement, de ne pas être dissociée de l’orientation gestaltiste dans laquelle il s’était engagé. Car c’est sur fond de cette thématique qu’il est possible de saisir que le retournement de la vision traditionnelle des universaux sémantiques auquel mène l’examen des langues amérindiennes n’est qu’une stratégie argumentative au service d’une ambition d’une toute autre ampleur, et consistant à jeter les bases d’une sémantique cognitive des langues amérindiennes.