26 juin 2020
https://www.openedition.org/12554 , info:eu-repo/semantics/openAccess
Irène Théry, « Pour une anthropologie comparative de la distinction de sexe », Éditions de l’École des hautes études en sciences sociales, ID : 10.4000/books.editionsehess.20392
De quoi parlons-nous – nous sociologues, historiens, ethnologues, anthropologues – quand nous parlons du « genre » ? Répondre à cette question n’est rien d’autre que clarifier l’objet de l’enquête en sciences sociales sur les rapports sociaux de sexe et la distinction masculin/féminin. On ignore encore trop souvent que l’ethnographie des sociétés les plus différentes des nôtres a considérablement renouvelé les perspectives dans ce domaine, en découvrant l’impossibilité de transposer dans d’autres sociétés la conception occidentale moderne du genre comme « attribut des personnes ». Incitant à renouer avec les ambitions d’une anthropologie comparative et historique capable de prendre distance avec nos certitudes et de nous mettre nous-mêmes en perspective, ce travail prend appui sur deux ouvrages importants : The gender of the gift, de Marilyn Strathern et Sexe relatif ou sexe absolu ? dirigé par Catherine Alès et Cécile Barraud. Il argumente les raisons qu’on peut avoir de définir le genre comme une « modalité des relations » et de considérer la « distinction de sexe » comme un outil décisif de la comparaison entre les différents usages du genre. Ainsi, on peut montrer que ce que vise l’enquête en sciences sociales n’est jamais la seule relation de sexe opposé, mais bien l’articulation entre les quatre formes de relations sociales que le genre permet de modaliser : les relations de sexe opposé, de même sexe, de sexe indifférencié et de sexe combiné.La première partie de l’étude s’attache surtout à montrer pourquoi l’approche relationnelle du genre a mis au centre de son enquête la question des diverses conceptions de la personne. La seconde partie démontre que cette approche, loin de ne valoir que pour les sociétés lointaines, permet de revenir vers notre propre histoire et d’éclairer l’imbroglio logique qui s’est mis en place à l’entrée dans la modernité autour de la notion de « différence des sexes ». Interroger le dualisme implicite des conceptions occidentales modernes de la personne (un « moi » et un « corps ») est sans doute l’un des enjeux majeurs liant aujourd’hui l’enquête en sciences sociales et le travail philosophique de clarification conceptuelle à propos du genre.