16 septembre 2020
https://www.openedition.org/12554 , info:eu-repo/semantics/openAccess
Joan-Pau Rubiés, « Race, Climate and Civilization in the Works of François Bernier », Éditions de l’École des hautes études en sciences sociales, ID : 10.4000/books.editionsehess.22612
Un paradigme dominant aujourd’hui identifie une transformation importante dans les théories ethnologiques amorcées au cours de la seconde moitié du xviiie siècle, par lequel les explications naturalistes des différences culturelles sont devenues plus racialisées, avec un glissement de l’écologie classique vers un racisme généalogique. Ce modèle a cependant fait l’objet d’une révision et d’une critique, souvent au motif que l’on peut peut faire remonter le racisme à des sources et à des contextes plus anciens. L’un des textes qui ont été utilisés pour illustrer ce changement précoce est la « Nouvelle division de la Terre » publié par le voyageur philosophe et penseur libertin François Bernier en 1684. Ce que je propose ici, est le réexamen de ce texte dans le contexte plus large de l’œuvre Bernier, en particulier ses lettres à propos de ses voyages en Inde publiés en1670-1671 comportant une analyse pénétrante des thèmes du despotisme oriental et de la superstition païenne. Je suggère que la classification raciale de Bernier dans sa « Nouvelle division » n’est pas, en dépit de son vocabulaire apparemment moderne, proto-raciste ou anti-monogéniste, bien qu’elle reflète l’essor des taxonomies naturalistes (à cet égard, en dépit d’une utilisation différente de la notion d’espèces, elle s’oriente en direction du travail influent de Buffon). En fait, la « Nouvelle division » a été une pièce d’de circonstance conduite par des observations personnelles (y compris un vif intérêt pour la beauté féminine) plutôt que par des débats théoriques. Sous l’angle de l’anthropologie médicale, les opinions de Bernier conjuguaient des critères de relativisme climatique et humoral avec une classification raciale qui était en grande partie limitée à des traits physiques. Au contraire, son interprétation des particularités de la civilisation indienne était profondément influencée par sa fréquentation étroite des élites mogholes, et visait un ensemble de situations très différent. La véritable explication des différences de civilisation était institutionnelle et culturelle, supposant à la fois une nature humaine universelle et aussi des valeurs politiques et morales universelles. De par ce penchant pour l’institutionnel, le voyageur philosophe était beaucoup plus proche de la position développée plus tard par Montesquieu, lecteur attentif de Bernier, que des idées polygénistes d’un Voltaire ou d’un Kames.