16 mars 2022
https://www.openedition.org/12554 , info:eu-repo/semantics/openAccess
Shail Mayaram, « Spirit possession », Éditions de l’École des hautes études en sciences sociales, ID : 10.4000/books.editionsehess.26277
Cet article met en question la prééminence de la problématique binaire du soi et de l’autre dans la théorie sociale contemporaine. Une telle opposition ne prévaut pas seulement dans le champ des études culturelles, elle se constate également dans des disciplines telles que l’historiographie et l’anthropologie, ainsi que dans les multiples travaux sur l’ethnicité. L’étude de la possession suggère cependant un paradigme de remplacement pour définir le soi et l’autre, la nature des relations interethniques, et la compréhension de la culture et des cosmologies. L’argument est développé à partir d’une étude ethnographique de deux femmes shamanes dans l’ Ajmer rural au Rajasthan. L’esprit de Pīr Babu ou de l’imam Hussein martyrisé lors du massacre de Karbala possède la femme « hindoue », Sushila Rawat ; la déesse-mère collective appelée Bayasaab Mātā possède la guérisseuse « musulmane », Jamila Merat, dont la pratique a été reprise par son plus jeune frère après sa mort. L’incorporation atteste de la perméabilité du corps ou (parce que) l’autre domine substanciellement le soi durant la transe. Le pouvoir de l’esprit possédant permet au guérisseur d’intervenir dans le monde terrestre du désir, kāma, et de la nécessité. En voyageant dans le temps et à travers l’espace, esprits et guérisseurs tissent de complexes cosmographies, telle celle que relate Sushila au pays mythique de l’ismaïlisme et des traditions intouchables. L’imaginaire foisonnant des deux sanctuaires est en contraste avec les discours polarisés sur l’ethnicisation tenus par des groupes comme la Tablighi Jamacat et la Vishva Hindu Parishad (VHP), activement engagés dans des luttes pour l’affirmation des identités régionales. Le discours de la thérapie mythico-rituelle donne une réponse « civilisationnelle » de remplacement aux politiques de « redressement des torts de l’histoire » (righting historical wrong) et aux problèmes de l’évaluation de la conquête passée et/ou de la violence réelle ou perçue. La relation client/guérisseur donne naissance à une communauté de discours qui transcende la caste et les frontières ethniques. Le caractère performatif de l’identité sexuelle des deux femmes guérisseuses les aide à renégocier les rapports entre sexes à l’intérieur de la communauté. Mais le discours de la maladie et de la possession met à jour les conflits entre sexes dans les communautés ethniquement définies. L’objectivation du soi et la subjectivisation de l’autre, impliqués dans la possession, suggèrent des voies nouvelles pour conceptualiser la dualité du soi et de l’autre.