23 novembre 2022
https://www.openedition.org/12554 , info:eu-repo/semantics/openAccess
Anne Ropars et al., « Chapitre 2. Le site du Pucheuil à Saint‑Saëns (Seine‑Maritime) », Éditions de la Maison des sciences de l’homme, ID : 10.4000/books.editionsmsh.42093
Au Pucheuil, les limons du plateau de Caux ont livré pour la première fois une stratigraphie développée dans une doline. Cette dépression, profonde de 7 m, renfermait des limons saaliens rarement aussi dilatés en Haute‑Normandie. Cette situation de « piège » a permis la conservation de deux abondantes séries lithiques du Paléolithique moyen, la plus ancienne antérieure au dernier interglaciaire saalien (ou contemporaine du début de la mise en place du paléosol) et la plus récente, immédiatement postérieure. La fouille de la doline a éclairé les questions préalablement posées : individualiser sur le plan chronostratigraphique les séries lithiques observées en bordure de la dépression, préciser les fondements technologiques des systèmes de production. Le site du Pucheuil se situe à l’extrémité du plateau de Caux en bordure du pays de Bray. Le pays de Caux est un glacis en pente douce vers l’ouest, recouvert par une altérite complexe de la craie secondaire « l’argile à silex » et par du lœss. En bordure du pays de Bray, qui est en constant soulèvement, les processus périglaciaires de dénudation ont érodé l’essentiel des formations superficielles. Cependant, grâce à des affaissements localisés de la craie par des phénomènes de soutirage karstique (doline), des enregistrements de séquences lœssiques du Pléistocène moyen comprenant du matériel lithique ont été conservés. Le cadre chronostratigraphique correspond à celui établi près de Rouen à Saint‑Pierre‑lès‑Elbeuf et à Saint‑Romain‑de‑Colbosc plus à l’ouest. La plus récente des séries lithiques du Pucheuil présente l’originalité d’être composée de quatre chaînes opératoires, largement documentées par des remontages. Elles font appel pour certaines à des modes de production inédits pour ces périodes, et s’inscrivent dans une structure complexe et ramifiée de la production lithique, au sein de laquelle des chaînes opératoires secondaires viennent se greffer à la chaîne opératoire principale (Levallois). Ces différentes formes de gestion technique de la production paraissent aller de pair avec diverses modalités d’organisation spatiale et économique des activités de taille. Elles relèvent en outre de différents niveaux d’élaboration technique, sur les plans conceptuel et opératoire, et soulèvent la question de la pluralité des niveaux de compétence des auteurs de cette industrie. Les séries A et C du Pucheuil, issues de contextes stratigraphiques et topographiques distincts, semblent correspondre à une même entité archéologique, scindée lors de la formation de la doline. Elles se caractérisent par une unique chaîne opératoire de production, fondée sur le débitage Levallois récurrent unipolaire. Les options techniques confèrent aux éclats Levallois des caractères morphotechniques assez constants. Ces produits semblent conçus pour posséder les caractères morphofonctionnels requis pour leur exploitation à l’état brut. Ces séries se rattachent au Paléolithique moyen ancien, et se singularisent par un outillage original qui ne peut s’intégrer dans aucun des faciès typologiques du Moustérien. La géométrie particulière des dépôts de la doline du Pucheuil, résultant de cinq grandes phases de soutirage karstique et de comblement de la dépression, permet de proposer un schéma interprétatif resituant les périodes d’occupation humaine dans la chronologie de la dynamique des dépôts. Est également débattue la question du choix de l’implantation humaine. Enfin, l’étude comparative des ensembles lithiques individualisés au Pucheuil offre la possibilité d’une approche diachronique du Paléolithique moyen ancien au sein d’un même gisement. Les deux occupations attestées sont le fait de groupes humains aux traditions techniques distinctes même si celles‑ci procèdent d’un même système de production, le débitage Levallois.