17 décembre 2020
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Rouane Soupault Isabelle, « Les mirages d’un Ailleurs aux deux rivages dans les comedias de captivité de Cervantès », Presses universitaires de Provence, ID : 10.4000/books.pup.21277
Dans trois des principales comedias de Cervantès, El trato de Argel écrite dès 1583, puis Los baños de Argel et El gallardo español publiées dans le recueil de 1616, les lieux de l’altérité servent de décor à l’antagonisme hispanomauresque dans le contexte politique du règne de Philippe II. Elles ont pour cadre deux régions voisines de la côte nord-africaine, Alger et Oran, liées à des épisodes facilement identifiables de la biographie de l’auteur. La toile de fond de ces comedias est donc faite de fils mêlés, où l’intime croise régulièrement le politique et l’historique. Il s’agit ici de s’interroger sur les différentes modalités que recouvre cet Ailleurs si souvent convoqué depuis la côte nord-africaine et qui n’est autre que l’Espagne elle-même. La tension des voix et des regards vers l’invisible rivage des côtes espagnoles structure les œuvres. Elle y inscrit des éléments communs qui affectent la dramatisation. Trois d’entre eux sont retenus et étudiés, qui illustrent des perspectives plurielles propres à la représentation de cet Ailleurs cervantin, à la fois familier et inaccessible, intime et interdit. En installant une double ouverture, spatiale sur la « frontière liquide » de la Méditerranée (F. Braudel) et temporelle sur le passé perdu, l’Ailleurs impose sa réversibilité mise en écriture par une topologie de la réciprocité (P. Valéry). De plus, le recours au récit scénique entraîne le lecteur-spectateur vers un au-delà du texte, ou de la scène, qui, comme par l’effet d’un mirage, brouille les limites du discours dramatique et induit un questionnement littéraire qui rappelle la modernité de la création cervantine. Enfin, le truchement du personnage récurrent nommé Saavedra, véritable figure d’un transfert fictionnel et double de l’auteur, confère une dimension ontologique à cette écriture de l’altérité marquée par un incessant et obsessif retour vers soi.