Le conflit suscité par la construction du barrage de Yesa sur le fleuve Aragon, au xxe siècle

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15 janvier 2021

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Sylvie Clarimont, « Le conflit suscité par la construction du barrage de Yesa sur le fleuve Aragon, au xxe siècle », Presses universitaires de Perpignan, ID : 10.4000/books.pupvd.11563


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L’analyse de Sylvie CLARIMONT décrit la persistance et la réinterprétation d’une utopie : elle explique comment le rêve aménageur et l’architecture propagandiste ont conjugué leurs influences, pour aboutir à la construction du grand barrage de Yesa. Ensuite, l’énergie utopique est déviée vers davantage de gigantisme, sous la pression métropolitaine de Saragosse. En 1898, après la guerre hispano-américaine et la perte de Cuba, les nationalistes ibériques ont conjuré leur mortification par des conquêtes marocaines, ou par des programmes pharaoniques de développement intérieur. Les plans du barrage de Yesa appartiennent à la seconde de ces sublimations. Dans sa première mouture, le projet de Yesa a été imaginé par le juriste Joachim Costa. Amateur des sciences économiques, ce dernier a créé le concept de « socialisme hydraulique ». Une telle alliance entre l’idée et la matière peut prêter à sourire, mais elle existe aussi chez Lénine, avec le célèbre aphorisme : « le socialisme, ce sont les soviets plus l’électricité ». Le socialisme de Costa est moins ancré dans le mouvement ouvrier que dans la nostalgie ultra-catholique des carlistes. Le barrage de Yesa doit faciliter l’irrigation de contact entre les Pyrénées et le bassin de l’Èbre. Sur ces pentes intermédiaires, l’eau doit permettre le développement d’un Pays de Cocagne. Grâce à ce paradis rural, Costa souhaite fixer en Aragon les transplantés de l’exode montagnard, de même que des migrants prolétarisés à Barcelone. Dans les années trente, le barrage de Yesa est conduit au stade des sondages préliminaires par le roi Alphonse XIII et par le dictateur Primo de Rivera. L’ouvrage est pourtant édifié bien plus tard, sous Franco, et sous la responsabilité de ministres d’Action catholique. En 1959, lors de l’inauguration, la propagande franquiste perpétue les justifications verbeuses de Costa, en les présentant comme un substitut aux réformes agraires de la Deuxième République (1931-1936). Pour Franco comme pour Costa, Yesa doit contribuer à purifier la Nation espagnole, en ancrant dans le terroir les héritiers de la Reconquista médiévale. Pourtant, après 1968, l’existence du barrage entraîne les autorités espagnoles vers des orientations moins mythiques, mais plus conformes aux inclinations de la globalisation économique. La municipalité de Saragosse commence en effet à intriguer pour faire agrandir la retenue, et pour pomper une partie de son approvisionnement en eau dans le lac de Yesa. En 1970, le gouvernement opusdeiste fait écho à la manœuvre, et il établit un schéma favorable à Saragosse. À partir de 1985, l’équipe socialiste de Felipe Gonzalez renchérit en accélérant les études de faisabilité pour le programme de « Yesa II ». Cette surenchère stratégique désacralise complètement l’image de l’État redistributeur et constructeur. Autour du gigantisme de Yesa, l’Espagne démocratique nourrit une confrontation directe entre les partisans de la municipalité de Saragosse, et les néo-ruraux qui refusent l’ennoyage de localités supplémentaires. Les polémiques autour de l’extension de Yesa sont symptomatiques de la « métropolisation » des territoires, telle qu’elle caractérise la mondialisation autour de l’An 2000. Dans ce cadre, le débat essentiel oppose l’homme standardisé de la grande cité et l’habitant allergique aux disfonctionnements de la mégalopole. Quand le citoyen du second type transforme les pesanteurs du gigantisme en échec personnel, il peut transférer sur le village son désir de refuge, soit à temps partiel, soit par réenracinement complet. Pour ce villageois d’adoption, les tentacules logistiques de la grande ville sont perçus comme des blessures paysagères, comme les servitudes revanchardes que le Géant déverse sur ses affranchis. En analysant les résultats électoraux des villes françaises, Hervé Le Bras théorise sur l’antagonisme qui oppose le citadin du centre et le résident des ramifications péri-urbaines : « – De plus en plus, les grandes agglomérations fabriquent des personnes qui sont « dans le coup » et d’autres qui sont à l’écart. Les premières accèdent facilement au centre, ou bien y résident, dans un environnement qu’elles connaissent et maîtrisent. Les secondes sont repoussées dans un monde péri-urbain où les nouveaux arrivants sont nombreux et les liens de sociabilité faibles. Plus que la profession et la situation économique, ce qui compte désormais est l’intégration à des réseaux de sociabilité et de décision. Il y a ceux qui pensent pouvoir peser sur leur destin, et les autres qui ont perdu leur prise sur la société ». (Hervé LE BRAS, « Territoire et politique : vote des villes et vote des champs », in L’explosion urbaine, Revue GEOPOLITIQUE N° 81, Paris, P.U.F./ Institut international de Géopolitique, mars 2003, p. 36).

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