15 mars 2019
https://www.openedition.org/12554 , info:eu-repo/semantics/restrictedAccess
Delphine Blanc, « « Se dé-saisir » de son terrain. Pour une épistémologie de la distanciation », Presses universitaires du Septentrion, ID : 10.4000/books.septentrion.32728
S’il réside dans l’expression « saisir le terrain » la notion primordiale d’une prise de possession, il peut être nécessaire dans certaines configurations de recherche de s’inscrire à rebours d’un travail d’infiltration ethnographique. On pourrait alors parler d’un exercice consistant finalement à se « dé-saisir du terrain ».Ainsi, comment peut-on entretenir une vigilance épistémologique fiable dès lors que l’on est tout à la fois enquêteur et enquêté ? Comment soutenir l’exigence réflexive inhérente au contrat scientifique lorsque l’on se trouve être à la fois acteur et observateur de son objet ? On peut tout d’abord souligner le cas de Pierre Bourdieu qui répond à cette question dans son travail sur le monde académique, en usant de ce qu’il nomme la « socio-analyse », soit l’exploration et l’évaluation des déterminations sociales pesant sur le travail intellectuel. On peut observer également les divers avantages que peut recéler ce type de situation. La position de participante observatrice dont nous avons l’exemple ici – une musicienne d’orchestre professionnelle qui étudie le champ des pratiques orchestrales – permet d’échapper au travail d’incorporation de schèmes indigènes. Ainsi, dans le cas d’une étude sur la musique, l’intériorisation de l’hexis corporelle imposée lors de son apprentissage instrumental par le musicien/chercheur peut aider à la création d’une grille de lecture spontanée, détachée du filtre éventuel de l’enquête ethnographique. En contrepartie, se posent d’emblée des questions de réflexivité, d’objectivation et de déontologie à observer tant vis-à-vis des enquêtés que des enquêtants. Si les problèmes d’intégration ne se posent pas pour celui « qui en est » comment négocier, par exemple, le sentiment de dénonciation de son propre groupe ?Conscient de ce préalable, il est alors primordial d’opérer un décentrage épistémologique nécessaire à l’équilibre entre le discours savant et la pratique. Ceci passe obligatoirement par une objectivation de son propre inconscient ainsi qu’une réflexion autour des dimensions symboliques et imaginaires que l’on emporte avec soi sur le terrain.