17 septembre 2012
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Nicole Gengoux, « Dans quelle mesure l’athéisme est-il inacceptable pour l’auteur du Theophrastus redivivus et pour Spinoza ? », Les Dossiers du Grihl, ID : 10.4000/dossiersgrihl.5454
Un problème posé par le Theophrastus redivivus, traité anonyme achevé en 1659, matérialiste et athée (au sens actuel du terme), est que l’auteur tout en critiquant radicalement la croyance en dieu, affirme qu’il faut chasser l’athéisme de la cité. Son athéisme est pourtant « pensable » : non seulement le mot n’est pas anachronique pour le xviie siècle, comme le pensent de nombreux commentateurs, mais le traité lui-même fait la généalogie de la croyance tout en exposant un système de pensée cohérent qui se passe de dieu.Le rejet du terme « athéisme » est d’ordre moral et social car il désigne celui qui se laisse entraîner par ses instincts. L’auteur nous prévient, en quelque sorte, que ce n’est pas parce qu’il nie les dieux qu’il n’est pas respectueux des lois. Cependant, l’« inacceptabilité » du terme « athée » a aussi un sens plus profond : comment, en effet, concilier l’ordre social et l’absence d’un Bien et d’un Mal absolus ? Certes le traité propose une solution purement naturelle en fondant la morale sur l’amour de soi, mais comment le faire comprendre ? C’est peu « acceptable » au sens de « compréhensible ».Nous pouvons distinguer des degrés d’inacceptabilité : l’amoralisme théorique paraît plus inacceptable, encore, que l’affirmation de l’inexistence de dieu, parce qu’il risque d’entraîner la désobéissance civile : c’est cette dernière qui constitue l’inacceptable absolu, pour notre Anonyme comme pour les lecteurs. Une conséquence paradoxale est que la thèse de l’imposture des religions est peut-être, pour des raisons politiques, moins inacceptable que cet amoralisme et surtout que le constat par l’Anonyme de l’inefficacité totale des religions. Enfin, les choses pouvant être dites plus ou moins haut, l’acceptabilité suppose plus de complicité et d’hypocrisie de la part du lecteur que nous aurions tendance à le penser. Dix ans plus tard, le nécessitarisme de Spinoza, par delà des différences notables (présence du terme de « Dieu » chez Spinoza pour désigner la nature) présente des similitudes avec le système du Theophrastus redivivus. Aussi son même rejet de l’athée parce qu’il ne contrôlerait pas ses instincts permet de mieux comprendre celui de notre Anonyme : point de stratégie de dissimulation, non plus, chez Spinoza, mais une volonté de se faire comprendre fondée sur une anthropologie nouvelle où « pensable » se confond avec « communicable ». Le caractère inacceptable de l’athéisme parce que non compréhensible, donc incommunicable, ajoute alors à son caractère social, un caractère intellectuel lequel explique peut-être pourquoi il est aussi vigoureusement rejeté par les deux auteurs.