30 novembre 2017
Ce document est lié à :
info:eu-repo/semantics/reference/issn/0999-4203
Ce document est lié à :
info:eu-repo/semantics/reference/issn/2496-4212
All rights reserved , info:eu-repo/semantics/openAccess
Sophie Maruéjouls-Koch, « Tennessee Williams, the Playwright-Painter: Vieux Carré and Something Cloudy, Something Clear at the Crossroads between Text and Image », Polysèmes, ID : 10.4000/polysemes.2292
« Snatching the eternal out of the desperately fleeting is the great magic trick of human existence » : Tennessee Williams écrivit cette phrase en 1951 dans un essai intitulé « The Timeless World of a Play » (61). L’affirmation met au jour une conception de l’art comme moyen de lutter contre le passage du temps, contre une « affreuse sensation d’impermanence » (61) qui n’a jamais quitté le dramaturge. Or, la scène n’est pas le seul endroit où, selon Williams, « le temps, soudain pris au piège, s’arrête » (61). Les dessins et tableaux qu’il réalisa tout au long de sa vie trahissent la même hantise du temps qui passe, le même désir de fixer l’intensité du moment dans l’œuvre d’art. Deux tableaux, peints en 1975 et 1977, permettent ainsi de porter un regard nouveau sur deux pièces écrites à la fin de sa carrière. Intitulées Vieux Carré et Something Cloudy, Something Clear, elles ont ceci de commun qu’elles apparaissent comme des tentatives de capturer la totalité d’une existence, d’enfermer la petite éternité d’une vie dans les limites de la représentation. Dans chacune d’elles, Williams mêle le passé et le présent, la vie et l’art, combinant les notions de mouvement et de stase pour opérer une synthèse dont ses images peintes sont l’écho, ou, pourrait-on dire aussi, le miroir. L’analyse de ces deux pièces au prisme de deux peintures méconnues de Williams invite à un dialogue fructueux entre les textes et les images. De cette approche dialogique émerge une temporalité plus circulaire que linéaire, plus anachronique que chronologique. Williams le peintre et Williams le dramaturge brouillent les limites spatio-temporelles pour créer ce lieu intermédiaire où les distinctions entre texte et image s’annulent, l’un devenant le miroir de l’autre, son « horizon d’interprétation », pour reprendre l’expression de Jean-Luc Nancy. Là, les mots manquent et les formes s’évanouissent ; là encore, le silence et l’indistinction confrontent le spectateur à l’intemporalité de l’art, non pas comme quelque chose d’éternel ou de transcendant, mais plutôt comme un intervalle magique où l’intensité du moment fuyant se révèle, comme une évanescence capturée dans les mailles de la représentation. Dans les textes de ses pièces, comme dans ses tableaux, Williams met le spectateur/lecteur face au mystère du temps, de ce temps objet d’une quête artistique vitale dans une œuvre où les images n’ont jamais cessé d’accompagner les mots.