14 juin 2019
Ce document est lié à :
info:eu-repo/semantics/reference/issn/1623-6572
Ce document est lié à :
info:eu-repo/semantics/reference/issn/2107-0385
https://creativecommons.org/licenses/by-nc-sa/4.0/ , info:eu-repo/semantics/openAccess
Laurence Granchamp, « Penser l’alimentation d’un point de vue décolonial », Revue des sciences sociales, ID : 10.4000/revss.3611
Ce texte rapporte le point de vue et l’expérience d’une jeune cheffe de cuisine amérindienne, Tainá Marajoará et son compagnon Carlos Ruffeil ; le couple a crée en 2014 à Belém, métropole amazonienne, un restaurant et un « centre de culture alimentaire », dénomé « Iacitatá » qui signifie en langue Tupi « lieu fertile ». Représentant local de Slow Food International, le Iacitata promeut à ce titre les mêmes valeurs et dissidences avec les systèmes alimentaires dominants en formulant une critique des rapports d’exploitation que génère l’industrialisation de la production alimentaire, avec son lot de standardisation, réduction de la diversité variétale, perte de saveurs et de savoirs culinaires et de maîtrise des semences. Le Iactitata pourrait donc être analysé comme un « Alternative Food Network », dont l’une des caractéristiques serait d’avoir émergé dans une région où ce type de réseaux était inexistant jusqu’alors. Toutefois, ces dissidences prennent une autre dimension dans le contexte amazonien. Le combat de Tainá, à travers le Centre de culture alimentaire, consiste en effet à mettre en lumière la façon dont se construit une invisibilisation, par de multiples voies, des savoirs et du patrimoine culturel culinaire ou gastronomique que détiennent les populations traditionnelles. S’appuyant sur la sociologie dé- et postcoloniale du sociologue portugais B. de Sousa Santos (2016), particulièrement les concepts de « ligne abyssale » et d’« écologie des savoirs », elle rend compte de la perpétuation d’une domination et de la façon dont des mouvements sociaux se saisissent de l’alimentation pour rendre visible des rapports de pouvoir et tenter de les transformer. L’idée de dissidence est étroitement liée à celle d’opposition à une autorité, politique ou idéologique. Les trois extraits de l’entretien présentés évoquent trois aspects de la critique de la domination qu’elle formule et de la dissidence qui en découle : à travers la patrimonialisation de l’alimentation régionale et sa diffusion nationale, à travers l’impérialisme du goût et le lien avec l’appropriation des territoires, et enfin à travers les efforts qu’elle et son compagnon ont fourni pour légitimer des savoirs alternatifs à partir de la culture alimentaire autochtone (une « épistémologie » alternative).