2003
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Politique et Sociétés ; vol. 22 no. 2 (2003)
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Emmanuel Kattan, « Le sujet libéral à l’épreuve du devoir de mémoire : John Rawls et le souvenir des morts », Politique et Sociétés, ID : 10.7202/007873ar
Cet article cherche à montrer que la conception rawlsienne du sujet n’est à même de faire place au souvenir des morts qu’au prix d’une conception de la justice qui exclut le souvenir des morts du domaine du politique. Dans la Théorie de la justice, la primauté accordée à l’autonomie du sujet ne permet pas de rendre compte adéquatement de formes d’appartenance qui sont constitutives de l’identité de l’individu, et ne permet donc pas de faire place à un devoir de mémoire des morts. Dans les écrits qui ont suivi la Théorie de la justice, John Rawls a restreint sa conception de la personne au seul domaine du politique. Un devoir de mémoire peut ainsi être reconnu et avoir sa place légitime dans le domaine de la vie privée, où l’autonomie n’est pas nécessairement exercée. Mais cela signifie aussi que le devoir de mémoire des morts, relevant d’une conception particulière du bien et reposant sur une perspective « englobante » sur l’histoire et sur l’importance qui doit être accordée au passé, est exclu du domaine de la vie publique. La commémoration des morts relève de la vie privée des individus et de groupes particuliers au sein de la société civile uniquement. La reconnaissance d’un devoir de mémoire des morts, dans la pensée de J. Rawls, repose donc sur l’exclusion de la mémoire du champ du politique. Cette exclusion pose problème, en particulier lorsqu’il convient de commémorer des crimes dont l’État s’est lui-même rendu responsable.