Présences de Josée Yvon dans la littérature québécoise contemporaine

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Comme le note Valérie Mailhot dans son article « La “dislocation révolutionnaire” des corps chez Josée Yvon », l’autrice et son œuvre poétique sont « en décalage par rapport aux groupes et aux mouvements idéologiques de son époque. En décalage parce que [Yvon] publie son premier recueil, Filles-commandos bandées, en 1976, c’est-à-dire au moment où la contre-culture québécoise est en passe de s’institutionnaliser, mais également parce qu’au sein même de la mouvance contre-culturelle Yvon demeure une figure à part, tant ses textes dérangent par leur radicalité et leur violence. » Autrice décalée, rangée par Isabelle Boisclair et Catherine Dussault-Frenette dans la catégorie des « vilaines filles » qui « se montrent rebelles […], parlent fort, vocifèrent, crient leur rage, […] boivent, n’ont peur de rien et risquent tout. […] Vilaines filles [qui] parlent de sexe, et crûment », Josée Yvon semble de prime abord irrécupérable, infréquentable, irrecevable. Or c’est justement ce caractère rétif de l’autrice et de sa poésie qui est au cœur des nombreuses relectures proposées par les critiques et les écrivain.e.s contemporains. Hériter de Josée Yvon, c’est aussi – et surtout – hériter de sa légende, de sa réputation sulfureuse de vilaine fille. Qu’en est-il de cette légende? Quels sont les thèmes qui reviennent avec insistance sous la plume des héritiers et des héritières ? On évoquera volontiers le silence critique autour de son œuvre, l’occultation de ses textes et de sa figure par celle de Denis Vanier, les scandales qui ont défrayé la chronique, l’abus de drogues, la prostitution, le sida, les textes marqués par la violence, tant dans l’expression poétique que dans le choix de thèmes récurrents qui recoupent certains aspects de sa biographie. Ces aspects de la légende, s’ils sont souvent récusés, mis à distance par les critiques et les écrivains, sont pourtant au fondement de plusieurs des relectures et des mises en scène de Josée Yvon dans les textes contemporains. Afin de donner un aperçu de ces relectures, nous nous attacherons aux apparitions de l’autrice et de son œuvre dans un corpus de textes divers, comptes rendus, essais, textes critiques, témoignages et fictions parus depuis 2000. Notre propos s’articulera plus particulièrement autour des apories liées au legs yvonnien, voire aux contradictions et aux paradoxes qui accompagnent l’appropriation d’une œuvre considérée comme imprenable. Nous observons dans les œuvres étudiées une filiation yvonnienne principalement thématique, mais somme toute assez rarement esthétique ; peu d’écrivain.e.s récentes se revendiquant explicitement de Josée Yvon ont un style ou un univers rappelant celui de la « fée des étoiles ». La multitude des présences dans les textes contemporains nous permet toutefois de penser un renouvellement du legs yvonnien, marqué par la profusion des hommages et des citations, des esthétiques et des filiations parfois inattendues, où c’est souvent le commun qui prime sur l’individuel, le pluriel sur le singulier, la série sur l’unité. Bien que les textes d’Yvon connaissent encore des problèmes de diffusion, n’étant pour la plupart pas édités, la poète s’impose néanmoins, et contre l’oubli, comme une référence littéraire commune, largement partagée dans le paysage culturel récent, et dotée d’une certaine aura, voire – paradoxalement – d’un prestige ; bien qu’issus de la contre-culture, ses textes n’évoluent pas que sous le manteau, dans des circuits illicites. Des mémoires et des thèses s’écrivent ou se préparent sur elle ; des articles de journaux et des articles savants lui sont consacrés ; des spectacles hommages lui sont dédiés. Les héritières et les héritiers d’Yvon opèrent un tri dans le legs, en choisissent les aspects qui résonnent encore au présent et qui peuvent se conjuguer à un discours de résistance aux normes dominantes.

As Valérie Mailhot notes in her article « The" revolutionary dislocation" of bodies in Josée Yvon’s writings », the author and her poetry are « Offset with the ideological groups and movements of her time. Offset because [Yvon] published her first book, Filles-commandos bandés, in 1976, at a time when Quebec’s counterculture is on the way to institutionalize itself, but also because within the counter-cultural movement Yvon remains a figure apart, as her texts disturb by their radicalism and their violence. » Marginal author, ranked by Isabelle Boisclair and Catherine Dussault-Frenette in the category of the « naughty girls » who « show themselves rebels […], speak loudly, shout, cry out in rage, […] drink, are not afraid of anything and risk everything. […] Naughty girls [who] speak of sex, and bluntly », Josée Yvon seems at first glance irrecoverable, infrequentable, inadmissible. However, it is precisely this reticent trait of the author and her poetry that is at the heart of the numerous re-readings proposed by contemporary critics and writers. To inherit from Josée Yvon is also – and above all – to inherit her legend, her sulphurous reputation as a « naughty girl ». What about this legend ? What are the themes that keep coming back ? Critics evoke the critical silence around her work, the concealment of her texts and her figure by Denis Vanier, the scandals that hit the headlines, drug abuse, prostitution, AIDS, the violent charge of her work, both in poetic expression and in the choice of recurring themes that cut across certain aspects of her biography. These aspects of the legend, if they are often challenged, put at a distance by critics and writers, are nevertheless the basis of many of the rereadings and staging of Josée Yvon in contemporary texts. In order to give an overview of these rereadings, we will focus on the appearances of the author and her work in a corpus of various texts, reviews, essays, testimonies and fictions published since 2000. Our subject will be articulated around the aporias linked to Yvon’s legacy, even to the contradictions and paradoxes that accompany the appropriation of a work considered impregnable. We observe in the works studied a thematic filiation more than an aesthetical one ; few recent writers who explicitly cite Josée Yvon as an influence have a style or literary universe reminiscent her’s. The multitude of presences in contemporary texts allows us, however, to think of a renewal of the yvonnian legacy, marked by the profusion of tributes and quotations, aesthetics and filiations sometimes unexpected, where it is often the common that prevails over the individual, the plural on the singular, the serial on the unit. Although Yvon’s texts are still experiencing editing problems, most of them not being published, the poet nevertheless imposes herself as a common literary reference, widely shared and even endowed with a certain aura of prestige; although originating from the counter-culture, her texts do not only evolve under the cloak, in illicit circuits. Theses are written or prepared on her work ; newspapesr and scholarly articles are devoted to her ; tribute shows are dedicated to her. The heirs of Yvon are sorting through the legacy, choosing the aspects that still resonate in the present and which can be combined with a discourse of resistance to dominant norms.

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