2020
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Sens public ; vol. no. (2020)
Droits d'auteur, 2020, KevinLambert , Martine-EmmanuelleLapointe
Kevin Lambert et al., « Présences de Josée Yvon dans la littérature québécoise contemporaine », Sens public, ID : 10.7202/1079445ar
Comme le note Valérie Mailhot dans son article « La “dislocation révolutionnaire” des corps chez Josée Yvon », l’autrice et son œuvre poétique sont « en décalage par rapport aux groupes et aux mouvements idéologiques de son époque. En décalage parce que [Yvon] publie son premier recueil, Filles-commandos bandées, en 1976, c’est-à-dire au moment où la contre-culture québécoise est en passe de s’institutionnaliser, mais également parce qu’au sein même de la mouvance contre-culturelle Yvon demeure une figure à part, tant ses textes dérangent par leur radicalité et leur violence. » Autrice décalée, rangée par Isabelle Boisclair et Catherine Dussault-Frenette dans la catégorie des « vilaines filles » qui « se montrent rebelles […], parlent fort, vocifèrent, crient leur rage, […] boivent, n’ont peur de rien et risquent tout. […] Vilaines filles [qui] parlent de sexe, et crûment », Josée Yvon semble de prime abord irrécupérable, infréquentable, irrecevable. Or c’est justement ce caractère rétif de l’autrice et de sa poésie qui est au cœur des nombreuses relectures proposées par les critiques et les écrivain.e.s contemporains. Hériter de Josée Yvon, c’est aussi – et surtout – hériter de sa légende, de sa réputation sulfureuse de vilaine fille. Qu’en est-il de cette légende? Quels sont les thèmes qui reviennent avec insistance sous la plume des héritiers et des héritières ? On évoquera volontiers le silence critique autour de son œuvre, l’occultation de ses textes et de sa figure par celle de Denis Vanier, les scandales qui ont défrayé la chronique, l’abus de drogues, la prostitution, le sida, les textes marqués par la violence, tant dans l’expression poétique que dans le choix de thèmes récurrents qui recoupent certains aspects de sa biographie. Ces aspects de la légende, s’ils sont souvent récusés, mis à distance par les critiques et les écrivains, sont pourtant au fondement de plusieurs des relectures et des mises en scène de Josée Yvon dans les textes contemporains. Afin de donner un aperçu de ces relectures, nous nous attacherons aux apparitions de l’autrice et de son œuvre dans un corpus de textes divers, comptes rendus, essais, textes critiques, témoignages et fictions parus depuis 2000. Notre propos s’articulera plus particulièrement autour des apories liées au legs yvonnien, voire aux contradictions et aux paradoxes qui accompagnent l’appropriation d’une œuvre considérée comme imprenable. Nous observons dans les œuvres étudiées une filiation yvonnienne principalement thématique, mais somme toute assez rarement esthétique ; peu d’écrivain.e.s récentes se revendiquant explicitement de Josée Yvon ont un style ou un univers rappelant celui de la « fée des étoiles ». La multitude des présences dans les textes contemporains nous permet toutefois de penser un renouvellement du legs yvonnien, marqué par la profusion des hommages et des citations, des esthétiques et des filiations parfois inattendues, où c’est souvent le commun qui prime sur l’individuel, le pluriel sur le singulier, la série sur l’unité. Bien que les textes d’Yvon connaissent encore des problèmes de diffusion, n’étant pour la plupart pas édités, la poète s’impose néanmoins, et contre l’oubli, comme une référence littéraire commune, largement partagée dans le paysage culturel récent, et dotée d’une certaine aura, voire – paradoxalement – d’un prestige ; bien qu’issus de la contre-culture, ses textes n’évoluent pas que sous le manteau, dans des circuits illicites. Des mémoires et des thèses s’écrivent ou se préparent sur elle ; des articles de journaux et des articles savants lui sont consacrés ; des spectacles hommages lui sont dédiés. Les héritières et les héritiers d’Yvon opèrent un tri dans le legs, en choisissent les aspects qui résonnent encore au présent et qui peuvent se conjuguer à un discours de résistance aux normes dominantes.