2020
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Les Cahiers de la Société québécoise de recherche en musique ; vol. 21 no. 2 (2020)
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Laurent Bellemare, « L’angklung américain : spectre d’une rencontre coloniale oubliée », Les Cahiers de la Société québécoise de recherche en musique, ID : 10.7202/1095428ar
En 1900, la compagnie américaine J.C. Deagan Company spécialisée en xylophones a breveté l’invention du deagan organ chimes, un carillon d’idiophones en métal plaqué de nickel. Composé d’une série d’instruments détachables et correspondant chacun à une note, l’instrument se joue en faisant trembler chaque unité. Le son cristallin qui en résulte est produit par la vibration de l’air dans de petits tubes d’orgue accordés sur une fréquence et ses octaves supérieures. Aujourd’hui, cet instrument a survécu à la dissolution de sa compagnie-mère comme une curiosité de l’histoire de la facture instrumentale américaine. Toutefois, la conception de l’organ chimes suggère une origine antérieure en raison de sa ressemblance frappante avec l’angklung d’Indonésie, un type de percussion en bambou omniprésent à travers l’archipel sud-est asiatique. Jamais explicitement référencée par la compagnie, la clé de cette rencontre se situe vraisemblablement dans la dissémination des cultures d’ailleurs en Amérique à l’époque coloniale. Cet article tente de rapprocher l’invention de cet instrument avec l’événement majeur qu’a été l’Exposition universelle de 1893 à Chicago. Étant donné le grand impact exercé par le village javanais sur l’imaginaire américain, il est peu probable que la création sept ans plus tard de l’organ chime soit issue d’une simple coïncidence. Paradoxalement, cette invention est rapidement tombée en désuétude au xxe siècle, alors que l’angklung a connu une renaissance en Asie. Appropriation culturelle tombée dans l’oubli, le cas de l’organ chimes permet de repenser le discours historique sur la facture instrumentale et les inventions musicales.