Jeux sans frontière. Les populations frontalières dans le sud-est de la Turquie

Résumé Fr

Une longue série de travaux a montré que la présence d’une frontière induit généralement des conséquences durables sur l’organisation et la gestion des espaces. Plus qu’un simple tracé, elle engendre des effets qui perdurent dans les représentations et les pratiques. Patrick Picouet et Jean-Pierre Renard le montrent bien dans un ouvrage de synthèse sur la genèse et les logiques des frontières à l’échelle mondiale. Karine Bennafla explique aussi que, depuis la fin des années 1980, de plus en plus d’études ont pris pour objet cette question comme en témoigne sa longue bibliographie. Cet intérêt s’est largement développé à propos de divers pays d’Afrique, l’Amérique centrale et latine ou même l’Europe. Les travaux sur l’Afrique comme ceux de Johny Egg, Emmanuel Grégoire, Pascal Labazée ou encore Javier Herrera analysent par exemple l’émergence progressive d’une classe marchande, engendrant des profits commerciaux substantiels et des conflits de pouvoir. De même, Lawrence A. Herzog insiste sur ces dimensions marchandes quand il évoque le « bourrelet urbain » pour désigner la zone qui sépare les États-Unis du Mexique, transformant la frontière en une « membrane hautement perméable » : quelque 160 000 travailleurs mexicains franchissaient officiellement la frontière chaque jour entre 1950 et 1980, sans compter les migrants illégaux estimés à une centaine de milliers ou l’installation par les firmes américaines du côté mexicain d’usines de montage afin de disposer d’une main-d’œuvre corvéable à merci. Laurent Faret analyse les transformations de ces flux migratoires sous l’effet de l’intégration régionale en Amérique du Nord. De même, la recherche, menée par Claudio Bolzman et Marie Vial, sur la main-d’œuvre frontalière en Europe, et plus précisément sur le recrutement massif depuis le début des années 1970 par des entreprises genevoises de travailleurs français, témoigne également de la prégnance desdimensions économiques.Le travail relaté ici s’attache moins à la structuration d’une activité commerciale transfrontalière abondante – il s’agit ici davantage d’un microcommerce – qu’à d’autres dimensions. En effet, à partir de l’exemple du département turc de Mardin situé aux frontières syrienne et irakienne, il s’agit de comprendre comment, depuis l’avènement de la république, les populations se jouent des frontières imposées par les États pour conserver les relations d’un pays à l’autre mais aussi d’une communauté à l’autre. La frontière sociale n’est pas seulement une métaphore car elle produit des limites spatiales construites par la société et des limites perçues et vécues par les personnes intéressées. En effet, après avoir livré quelques propriétés historiques du terrain concerné, on montre, dans un premier volet, qu’en dépit de l’existence de nouvelles frontières physiques, les groupes maintiennent des rapports à travers les activités de contrebande, la circulation de la main-d’œuvre et les échanges familiaux. Dans un second volet, l’accent est mis sur les stratégies de résistance dont usent les différentes communautés linguistiques, religieuses, etc. face à une unification voulue par l’État central, qui cherche précisément à nier l’existence de ces groupes et à les ériger en menaces réelles ou potentielles.

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