L’ivresse du peuple croquée par Honoré Daumier

Résumé Fr

Monsieur Daumier n'est qu'une manière d'ouvrier en facéties, point inventif, dépourvu de grâce, avec de l'habileté au bout des doigts et qui rencontre parfois une pincée de gros sel. Mais quel rire ! Quelle odeur de fromage et de gros vin ! Louis Veuillot, « Au Charivari », L'Univers, 2 avril 1851, p. 1. Dans la tribune que Louis Veuillot, directeur ultramontain du quotidien catholique L'Univers, signe pour déplorer l'orientation républicaine et anticléricale du journal satirique illustré fondé en 1832 Le Charivari, qu'il taxe de bouffonnerie, la description réservée à Honoré Daumier est éloquente. Sa pratique de caricaturiste y est tournée en dérision à l'aide d'un registre culinaire et olfactif qui associe ses charges pour le journal à des aliments à l'odeur persistante, à savoir le fromage et la piquette, qui représentent une part importante dans l'ordinaire alimentaire des classes laborieuses d'alors. Pour le dire autrement, les caricatures de Daumier incommodent la sensibilité de Veuillot : pas seulement parce que certaines d'entre elles attaquent le clergé mais surtout parce qu'aussi, à son goût, dans leur facture même ainsi que par les sujets qu'elles abordent, elles puent, elles sentent fort, trop fort, le peuple et l'intérêt de Daumier pour celui-ci. Veuillot, décidément indisposé par les couches populaires et inquiet pour l'avenir du catholicisme en période d'unification de l'Italie, reprendra l'association entre peuple, mauvaises odeurs et lectures de journaux dans Les Odeurs de Paris (1867), qu'il conçoit comme un pendant négatif à son Parfum de Rome (1862) : à la ville spirituelle pontificale italienne s'oppose en tous points la capitale française, taxée de charnelle et dont les émanations putrides trahissent, selon l'auteur, la décadence morale d'un peuple puissamment influencé par la presse libérale et républicaine 1. Ironie : en recourant au registre olfactif pour disqualifier le travail de Daumier, Veuillot reprend, bien involontairement, une métaphore que le caricaturiste a lui-même lar