“Messaline a raison contre Juvénal” ou le savoir d’Emma Bovary

Résumé Fr

Le désir de savoir peut être satisfait ; le désir de penser, non. C'est pourquoi « Emma Messaline » a raison contre Juvénal. Au coeur de l'espace amorphe de la province française, elle défend les droits de la pensée contre ceux du savoir. La pensée se reconnaît fascinée par ce qui la dépasse et à quoi, sans cesse, elle revient. Or la pensée d'Emma s'exerce sur la vie ; la vie est « sa » question ; en cela elle rejoint la plus forte et la plus constante préoccupation de l'artiste. C'est là le sens de cette identification entre Emma, la petite-bourgeoise normande, et Messaline, l'impératrice en quête d'un impossible assouvissement. L'héroïne de Flaubert échoue dans sa recherche car la fiction ne lui offre qu'un savoir dégradé ; mais tout savoir n'est-il pas dérisoire dès qu'on le mesure à l'aune des grands enjeux, des grandes exigences de la pensée ? C'est pourquoi Emma Bovary, comme la Révolution, exaspère le bourgeois et suscite « cette haine que provoque l'avènement de toute idée parce que c'est une idée, exécration dont elle tire plus tard sa gloire, et qui fait que ses ennemis sont toujours au-dessous d'elle, si médiocre qu'elle puisse être 1 ». Pour devenir écrivain, Flaubert a éprouvé le besoin de se faire l'ennemi de la Révolution et du plus beau de ses personnages féminins, Emma Bovary. Mais il savait aussi qu'il ne pouvait en rester là, à ce point de vue strictement critique. Aussi parvient-il, alors même qu'il accable Madame Bovary ou la Révolution, à dégager en elles « la pensée », la grande énergie vitale qui leur permet ne pas se dissoudre dans le vitriol de son ironie.