2017
Cairn
Henri Peyronie, « La pédagogie Freinet : quelle(s) influence(s) sur l’École publique française ? », Spécificités, ID : 10670/1.5rjhzr
Parmi les initiatives pédagogiques novatrices, la pédagogie Freinet, forgée dans les années 1920 et 1930 et retravaillée continûment depuis, est une pédagogie pérenne grâce – en particulier – à un fonctionnement en « intellectuel collectif » du mouvement qui la porte. Au-delà de l’inscription critique des instituteurs militants et militantes de cette pédagogie à l’intérieur de l’École française (ce qui constitue une originalité forte de son positionnement), son influence sur l’ensemble de l’École publique française et ses essaimages dans l’ensemble du champ éducatif sont moins avérés. Méthodologiquement, l’identification des transmissions et des influences dans ce champ ne va pas de soi tant la circulation des idées et des pratiques emprunte des circuits complexes. Un travail sur les instructions officielles de l’École publique française, sur la composition des grandes commissions pédagogiques, sur l’histoire des lieux de formation des enseignants ou encore sur quelques supports de la presse pédagogique permet cependant de cerner des influences portées.Le moment législatif du Front Populaire et du ministère Jean Zay constitue l’un de ces moments forts, d’autant que la hiérarchie intermédiaire de l’Éducation nationale soutient, ici et là, les multiples animations faites par Célestin Freinet. Si le moment la Libération constitue un « rendez-vous manqué » pour la pédagogie Freinet (mais pas tout à fait pour l’Éducation nouvelle), le moment de l’ouverture du premier cycle de l’enseignement secondaire au plus grand nombre offre, au début des années 1960, l’occasion d’une nouvelle reconnaissance de cette pédagogie pour l’encadrement des élèves en difficulté dans l’enseignement secondaire, avec la création des « classes de transition » : dans les textes officiels et dans les institutions de formation. Dans cette même dynamique, qui tient la pédagogie Freinet comme une sorte de recours pédagogique légitime pour les enfants en difficulté scolaire, celle-ci a imprégné les pratiques dans « l’enseignement spécialisé » de l’enseignement primaire français (comme l’a montré L. Bruliard). Au-delà, on peut penser que l’épisode de « la Rénovation pédagogique » des années 1970 a emprunté à ce courant pédagogique, mais au prix d’un « affadissement », puis d’une « évaporation » comme après chacun des moments de diffusion. On peut dater de la Loi Jospin de 1989, et de quelques textes des ministères Lang (1992) et Bayrou (1993), les dernières références partielles à une pédagogie empruntant aux principes de l’Éducation nouvelle, d’où une défiance et un raidissement accrus des militants Freinet vis-à-vis des autorités hiérarchiques de l’École.