2009
Cairn
Hervé Glevarec et al., « La « tablature » des goûts musicaux : un modèle de structuration des préférences et des jugements », Revue française de sociologie, ID : 10670/1.6g2xb9
Le modèle dominant d’analyse des goûts culturels demeure, au moins en France, celui de la stratification sociale. Récemment, l’éclectisme musical tel que décrit par Peterson a substitué à la distinction sociale appuyée sur des goûts classiques (opéra, musique classique et jazz) une distinction appuyée sur la pluralité des genres à travers la figure du mélomane « omnivore » qui écoute des genres classiques et populaires. L’éclectisme conserve la fonction homologique des goûts. Cette situation semble dorénavant révolue : la structuration contemporaine des goûts des catégories supérieures jeunes et des jeunes générations passées par l’enseignement supérieur se caractérise par la prédominance radicale d’un exclusivisme concentré sur les genres populaires (chanson et variétés, rock, musiques électroniques et rap), et donc par l’effacement du mélange entre les genres classiques et populaires comme modèle dominant pour ces catégories. Le recours à la dernière enquête sur les pratiques culturelles de 2003 et sa comparaison avec les enquêtes 1973 et 1988 permettent de poser des questions relatives à l’évolution de la distribution sociale des genres musicaux. D’un point de vue sociologique et théorique, le modèle de la « pyramide inversée » des goûts éclectiques proposé par Peterson, qui faisait suite à la « colonne » linéaire du goût classique vs le goût populaire que l’on trouve chez Bourdieu, nécessite d’être remplacé par une description nouvelle de l’articulation des goûts et des catégories sociales : une « tablature ». C’est pourquoi nous défendons une cartographie des goûts musicaux qui est une « mise en genre » des styles musicaux, devenus dorénavant « inclassables », et une articulation entre des genres qui n’est plus de rejet/dégoût, mais d’ouverture/tolérance. C’est le modèle même de compréhension des pratiques culturelles qu’il faudrait profondément modifier trente ans après La distinction, de même que notre appréhension de la valeur sociale de la culture.