2021
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Laurent Klaric et al., « Rayssien ? Vous avez dit Rayssien ? : Approche multi-proxies d’une culture préhistorique du Gravettien », HAL-SHS : archéologie, ID : 10670/1.7udl6j
En France, ces deux dernières décennies, le Gravettien moyen a fait l’objet de travaux visant en particulier à documenter ses industries lithiques. La distinction entre phase (ou faciès selon les auteurs) à burins de Noailles (Noaillien) et à burin-nucléus du Raysse (Rayssien), historiquement proposée sur des bases typologique et chrono-stratigraphique à partir de la séquence de l’abri Pataud et de celle du Flageolet I, s’est vue renforcée par les études technologiques approfondies des systèmes techniques d’autres sites (La Picardie et la Grotte du Renne). Dans le Nord de l’Aquitaine, ces éléments ont permis de rediscuter de la distinction typo-technologique et géographique de ces deux phases, mais leur interprétation et la nature de leur relation n’ont, pour autant, pas été définitivement tranchées. Récemment, les études des industries en matières dures d’origine animale (MDA) et des faunes chassées sont venues nuancer les conclusions des études lithiques tout en apportant un lot d’observations qui relance les discussions sur la nature du « Rayssien » et ses origines. Si le lithique a prédominé dans les discussions ces vingt dernières années, il faut admettre l’impasse dans laquelle se trouvent aujourd’hui les réflexions si l’on se limite à l’examen de cet unique « proxy culturel ». Pour le Paléolithique supérieur, les industries lithiques seules ne suffisent pas à caractériser la « culture » (au sens de culture matérielle), quelques exemples comme le Kostienkien ou le Pavlovien le montrent bien. Si, pour le Rayssien, les industries lithiques constituent un « signal » privilégié c’est d’abord parce que d’autres matériaux ou vestiges plus fragiles (industrie osseuse, sépultures, objets symboliques, etc.) sont rares ou font souvent défaut. Face à ce constat, il semble utile de rediscuter de la manière de percevoir et de décrire les cultures préhistoriques, notamment à la lueur de démarches pluridisciplinaires visant au croisement des différents proxies (culturels et paléoenvironnementaux) offerts par le registre archéologique quand bien même ces derniers sont de résolution inégale. Un réexamen critique des données radiométriques et des vestiges archéologiques, jusqu’à présent négligés dans les débats, ouvrent de nouvelles pistes de réflexion. Ces dernières conduisent à questionner ce concept Rayssien. En considérant les différentes hypothèses interprétatives qui ont jalonné son histoire, nous en explorons une plus particulièrement, à savoir : le Rayssien peut-il être défini comme une culture préhistorique (sensu Clarke, 1968 ; Leclerc et Tarrête in Leroi-Gourhan [dir.], 2005) ? La confrontation de l’ensemble de la documentation permet-elle de confirmer le scenario selon lequel, à l’intérieur du Gravettien moyen tel qu’on le connaît en Europe occidentale, des groupes humains auraient connu des évolutions différentes ? Certains groupes auraient maintenu — pendant des millénaires, sur de vastes espaces en relation avec différents écosystèmes — une tradition perçue comme homogène (le Noaillien). A contrario, d’autres, à partir d’un certain moment, sur une période de temps et une aire géographique plus restreintes, en lien avec des écosystèmes moins diversifiés, auraient divergé jusqu’à former une entité culturelle autonome (le Rayssien), non seulement sur le plan de leur tradition lithique, mais sur d’autres aspects de leur culture matérielle et même plus proprement idéelle. Telle est la problématique que nous proposons d’explorer dans cet article qui s’attachera donc à proposer un panorama des différents proxies culturels disponibles pour le Rayssien en mettant l’accent sur leurs originalités notamment par rapport aux ensembles archéologiques à burins de Noailles qui le précèdent dans le Nord de l’Aquitaine et qui lui sont partiellement contemporaines dans le territoire plus méridional des Pyrénées. La mise en perspective de différentes disciplines permettra d’offrir une vision actualisée de ce segment charnière de la séquence gravettienne, tout autant que d’identifier certains des verrous à faire céder afin d’approfondir les réflexions. En outre, la discussion finale sera l’occasion non seulement de clarifier un certain nombre de points quant à ce que nous entendons par les termes « Rayssien » et « Gravettien » mais aussi d’expliciter notre positionnement et notre démarche scientifique, à l’opposée d’une supposée réification que sous-tendrait notre réflexion collective, comme cela a pu être formulé à l’occasion des discussions du colloque.