2023
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Jacqueline Carroy et al., « « Mourir dans un baiser » Un archétype du féminicide ? », HAL-SHS : études de genres, ID : 10.4000/criminocorpus.12404
Le féminicide, défini par le fait de tuer une femme en raison de son sexe, est un mot récemment forgé pour désigner acte social de moins en moins toléré dans nos sociétés. Cet acte a été confondu pour une large part, au 19e siècle notamment, dans la vaste nébuleuse des crimes « passionnels », ces assassinats commis sous l’emprise d’une passion amoureuse exacerbée par la jalousie ou l’impossibilité de s’unir à l’être aimé. Il existe toutefois une autre voie de l’amour menant à la mort, c’est celle du double suicide d’amants. Lorsque l’homme survit à la mort de sa compagne, l’intentionnalité du geste pose question. Nous en faisons l’analyse à partir d’un double suicide commis à Constantine, en Algérie, le 25 janvier 1888. Très vite érigée en « cause célèbre », cette affaire questionne le statut de l’assassin, Henri Chambige. S’agit-il d’un idéaliste trop sensible et imaginatif, perdu dans ses lectures de Sand, Stendhal, Balzac et de Vigny ? S’agit-il plus simplement d’un cynique détestant la femme qui lui refusait l’amour qu’il en attendait ? Quant à la femme victime, peut-elle être coupable d’avoir trahi son mari ? Et d’avoir préféré la mort au déshonneur ? Paul Bourget écrit à la suite de ce crime Le Disciple, grand succès critique et de librairie, pour résoudre la question morale de l’influence de la littérature et des nouvelles théories de la psychologie sur la jeunesse. Anatole France et Maurice Barrès prennent aussi position. L’affaire Chambige tient une place singulière dans l’histoire du féminicide en littérature. Elle suscite des positions engagées, parfois violentes, révélatrices d’un imaginaire criminel qui ne se pense pas comme tel mais elle provoque aussi des réactions contre la mise à mort des femmes, initiant ainsi un premier mouvement de prise de conscience sociale de ce que l’on ne désigne pas encore sous le nom de féminicide.