2009
Dany Savelli, « Shambhala de-ci, de-là : syncrétisme ou appropriation de la religion de l'Autre ? (Autour de l'expédition N. K. Roerich en Asie Centrale) », HAL-SHS : littérature, ID : 10670/1.a8ybjg
Cet article est une analyse des coupures de presse conservées au Nicolas Roerich Museum à New York et relatives à l'expédition en Asie Centrale (1925-1928) du peintre et mystique Nicolas Roerich (1874-1945). Ces articles (plusieurs centaines) sont pour la plupart parus dans la presse américaine. Un examen de leur contenu montre clairement que la source qui abreuva la presse d'informations sur cette expédition ne fut autre que le musée fondé par Roerich en 1923 à Manhattan. Autrement dit, l'examen de ces articles est l'occasion de voir comment lui-même et ses adeptes new-yorkais organisèrent une campagne de promotion en sa faveur mais aussi – et c'est sur ce point qu'insiste le présent article – la façon dont le mythe eschatologique de Shambhala trouva écho en Occident grâce à cet exilé russe. En effet, Roerich accorda une place centrale dans sa doctrine spirituelle, l'Éthique vivante, au royaume légendaire de Shambhala. Cette « Source du bonheur » selon les Tibétains est consacrée par Roerich et sa femme Elena comme la résidence des Mahatmas (Grands Esprits) avec qui la fondatrice de la théosophie, Helena Blavatsky, prétendit être en relation constante. Une première partie examine la façon dont le lama bouriate Agvan Dorjiev identifia la Russie à Shambhala devant le XIIIe Dalai-Lama et tenta d'infléchir ainsi la diplomatie tibétaine en faveur de l'Empire tsariste. Elle examine également la façon dont ce mythe fut évoqué à Saint-Pétersbourg à la charnière des XIXe et XXe siècles. Une deuxième partie traite plus précisément de Roerich et du bouddhisme tibétain à travers les coupures de presse du Roerich Museum. Avant de pénétrer au Tibet, Roerich voit dans ce pays une contrée hautement spirituelle, berceau de toutes les religions. Durant son séjour au Sikkim et au Ladakh, il affirme avoir trouvé les preuves de la venue du Christ en Inde et au Tibet, répétant ainsi les dires de Alexandre Notovitch, Levi H. Dowling et Mirza Ghulam Ahmad. Mais cette image idyllique d'un Tibet mystique est totalement battue en brèche après le séjour de Roerich dans ce pays, dans des conditions terribles, entre avril 1927 et mai 1928. De retour en Inde, Roerich opère une dénonciation en règle du bouddhisme tibétain qu'il décrit comme un anti-bouddhisme. Il utilise à présent le mythe de Shambhala pour suggérer, jusqu'à la Maison Blanche (il rencontre le président américain Herbert Hoover en septembre 1929), que les Tibétains sont des candidats potentiels à une éventuelle colonisation américaine. Une dernière partie tente de cerner les raisons pour lesquelles Roerich se crut autorisé à s'approprier une eschatologie étrangère, à déposséder les Tibétains de leur religion et à se prétendre roi de Shambhala. Il nous semble que l'on trouve là un prolongement pour le moins surprenant de la théosophie d'Helena Blavatsky, du prosélytisme d'Agvan Dorjiev et du néo-bouddhisme qui gagna Saint-Pétersbourg au début du XXe siècle.