25 novembre 2011
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Michel Pretalli, « Les dialogues militaires des ingénieurs italiens au XVIème siècle : transmission des savoirs et aspirations littéraires », HAL-SHS : histoire, philosophie et sociologie des sciences et des techniques, ID : 10670/1.cd1ko6
La thèse comprend trois parties dont la première vise à définir le contexte historique et culturel dans lequel se développa la production littéraire prise en considération. Nous y décrivons la position d’infériorité relative qui était, depuis l’Antiquité, celle des praticiens (mechanici) par rapports aux lettrés et, plus généralement, aux représentants des arts libéraux. Nous décrivons ensuite le milieu dans lequel évoluèrent les auteurs des dialogues étudiés, c’est-à-dire la cour, centre névralgique et décisionnel de la société à cette époque et qui, passage obligé de l’ascension sociale, était aussi un milieu hostile et très fortement concurrentiel. Le prince occupait le sommet de sa hiérarchie et se situait au cœur des dynamiques internes qui l’animaient. Les techniciens tels que certains des auteurs des ouvrages étudiés devaient se confronter à ce milieu s’ils espéraient faire carrière. Les possibilités d’évolution professionnelle et sociale qui s’ouvraient à eux étaient réelles : les États italiens montrèrent en effet au XVIème siècle un intérêt certain pour les disciplines techniques et proto-scientifiques. Dans ce contexte, la production textuelle représentait un moyen d’action de première importance. Le livre pouvait en effet être conçu comme une monnaie d’échange dans les relations courtisanes, mais aussi comme un succédané à l’action militaire ou comme un moyen efficace pour la promotion des compétences de l’auteur.La deuxième partie de la thèse nous rapproche des textes qui forment le corpus de recherche. Le fait que ces ouvrages traitaient d’affaires militaires représentait un atout dans les cours de la péninsule au XVIème siècle et pouvait leur assurer une réception favorable tout en ouvrant des perspectives de carrière à leurs auteurs. Le premier chapitre de cette partie vise donc à montrer comment était perçue l’utilité de l’art militaire à cette époque. Si la rhétorique faisait de son exaltation un véritable lieu commun, la réalité historique conduisait à un constat unanime : celui de la nécessité urgente pour les États de la Péninsule, qui subirent des échecs cuisants dans la première partie du siècle notamment, d’améliorer l’efficacité de leurs armées. La production d’ouvrages militaires aux finalités didactiques s’encadre, en partie tout du moins, dans ce contexte et répond à la volonté de proposer une instruction militaire plus avancée. La manière dont les auteurs des dialogues étudiés cherchèrent à répondre à ce besoin vital dépendait substantiellement de leur conception de l’art militaire. On en distingue trois principales à cette époque mais toutes préconisent, dans des proportions et selon des modalités différentes, l’union des connaissances théoriques et pratiques. Les hommes de métiers – des membres de l’aristocratie ayant souvent reçu une certaine formation culturelle – revendiquaient la supériorité des savoirs pratiques et critiquaient ceux que l’on appellera les théoriciens purs. Dans leurs ouvrages, ils arrivaient parfois à remettre en cause la pertinence d’une transmission des savoirs militaires par l’écrit. Le paradoxe n’est cependant qu’apparent : la notion clé de l’experimentum – qui peut s’accommoder du support écrit – permet de le résoudre. L’approche de type humaniste, de son côté, relève d’une perspective générale et aristocratique de l’art. Le recours aux auctoritates antiques y est fréquent et les vertus classiques occupent une place de premier ordre. Enfin, les techniciens de la guerre faisaient des mathématiques le fondement essentiel de leur conception de l’art militaire moderne. Ces mathématiciens praticiens soutenaient avec une force particulière la revalorisation des savoirs théoriques déjà en cours dans d’autres disciplines artistiques. Les évolutions radicales qui caractérisent l’art de la guerre au XVIème siècle sanctionnèrent l’efficacité d’une telle approche. Surtout, le recours aux mathématiques représentait la possibilité d’un ennoblissement de métiers qui n’étaient plus seulement « mécaniques ». De cette promotion intellectuelle, les ingénieurs pouvaient tirer des bénéfices notables en termes d’évolution professionnelle et aspiraient parfois à l’accession à un statut social supérieur.La troisième et dernière partie de la thèse consiste en l’analyse des dialogues du corpus : une analyse des moyens – rhétoriques, stylistiques et plus globalement formels, avec une attention particulière l’exploitation du genre dialogique – mis en œuvre par leurs auteurs pour atteindre les objectifs qu’ils souhaitaient atteindre à travers la publication de leurs ouvrages. Ces objectifs fondamentaux, que l’on a décrit d’un point de vue théorique dans la première partie, sont la promotion des compétences de l’auteur et la réalisation d’une transmission de savoirs efficace afin de faire des dialogues des outils potentiels pour l’amélioration de l’efficacité militaire. La dimension didactique des textes étudiés est évidente et le recours au genre dialogique pouvait se présenter comme une option séduisante dans ce but, même pour les représentants de l‘approche technicienne. Toutefois, et c’est là l’objet du dernier chapitre de cette partie, les auteurs des dialogues militaires devaient impérativement se conformer aux modalités de la communication courtisane pour assurer le succès de leur production textuelle et, par conséquent, des stratégies qu’elle pouvait servir. En d’autres termes, les dialogues devaient plaire au public des cours : l’aspect dilettevole (plaisant, agréable) – qui se traduit en grande partie par le soin accordé à la forme – représentait également un atout non négligeable face à la rude concurrence auxquels les ingénieurs étaient confrontés.