8 décembre 2012
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Déborah Knop, « La cryptique chez Montaigne », HAL-SHS : littérature, ID : 10670/1.dzzdjk
« A sauts et à gambades » : de cette formule des Essais, la critique a souvent conclu au décousu de leur écriture. Notre travail montre qu'il n'en est rien dans de nombreux chapitres des Essais, en s'appuyant sur l'idée de « cryptique » chez Ramus (Dialectique, 1555) et Canaye (L'Organe, 1589) et sur le concept rhétorique de ductus ou progression du discours : l'écrivain-dux déjoue réticences ou hostilité de son lecteur, sa repugnantia. La première partie précise, à partir des grands traités rhétoriques, dont Quintilien traduit par Gedoyn (1718), ce que recouvrent les notions de propositum, d'oratio, de sermo, de contentio, de digressio, de delectare et de repugnantia ; et, dans le domaine de la dialectique, de syllogisme et de preuve, ce qui permet d'exhumer la structure profonde de l'argumentation. La seconde partie définit la notion d'insinuatio et son pendant dialectique, la « méthode de prudence », dont Ramus donne les préceptes détaillés. Nous en tirons de nombreux outils en vue de l'analyse des textes littéraires. Nous examinons la notion de dissimulatio en rhétorique, notamment la dissimulatio artis, apanage de Socrate, lequel est si important pour Montaigne. La dernière partie expose différentes formes de ductus dans les Essais, pour séduire le lecteur et le mener sur la voie d'un progrès moral. Ce but suppose une rhétorique extrêmement sensible à ce qui « répugne » à son auditoire, comme à ce qui le « passionne ». Le cheminement ressemble de près à la méthode antique de l'exercice spirituel, qui impliquait une certaine familiarité entre auteur et lecteur, un retour sur soi concomitant et symétrique du maître et du disciple.