10 décembre 2021
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Inkar Kuramayeva, « Des Amazones pas comme les autres : considérations sur les femmes au travers du prisme de l’œuvre de Nezami et des épopées d’Asie Centrale », HAL-SHS : littérature, ID : 10670/1.e38n6s
Maître de l’épopée romanesque de la littérature persane, le poète Nezâmi Gandjavi (1141-1209) et son œuvre Khamseh restent méconnus du grand public, malgré l’extraordinaire richesse de sa philosophie humaniste. Sa poésie raffinée et subtile se distingue de ses contemporains par une place prépondérante qu’il attribue aux femmes. Intelligentes, combattantes, parieuses, gouverneures et éducatrices, ce sont là des femmes prêtes à affronter tous les obstacles pour mener l’homme, souvent indécis et confus, au sommet de la vertu. On remarque à ce propos l’inversion des rôles des deux sexes ainsi que l’appropriation d’une hiérarchie sociale inhabituelle : la puissance et la place prépondérante de la femme. Ce caractère spécifique de la poésie de Nezâmi, lié à la puissance féminine, est proche de l’image des Amazones de l’Antiquité gréco-romaine – les femmes de pouvoir par excellence –, qui incluent toujours une société de belles cavalières ou de femmes à cheval, habiles aux guerres et renommées pour leur habileté à tirer à l’arc, et surtout excluant les hommes de leur communauté. Libres, autonomes et indépendantes, ces héroïnes deviennent le modèle des femmes émancipées et le symbole pour l’égalité des sexes. Le mythe a d’ailleurs un fond historique : les réelles femmes guerrières des peuples indo-européens nomades et semi-nomades de la Scythie (de l’Europe de l’Est jusqu’à l’ouest de la Chine). Les découvertes de tombes féminines à armes des VIe-IIIe siècles av. J.-C. en portent preuves. Et surtout, la littérature d’Asie centrale nous fournit davantage de détails sur ce dernier point, plus particulièrement Qirq qiz et Janyl myrza – les épopées héroïques – mettant en scène les guerrières insoumises. Avec l’épopée romanesque de Nezâmi et l’épopée héroïque d’Asie centrale, les Amazones ou les femmes de pouvoir se voient réapparaître sous une image différente : d’un côté, celle d’une femme incarnant une puissance intellectuelle, représentant ou influençant le pouvoir ; de l’autre côté, celle d’une femme exprimant une autre forme de puissance physique, incarnant elles aussi le pouvoir.