« Drôles d’oiseaux ! » : passions volatiles et déterminisme sexuel au sein d’une relation d’élevage

Résumé Fr En

En prenant pour objet une pratique d’oisellerie tournée vers l’organisation de compétitions de chant d’oiseaux au Brésil (État de São Paulo), cet article aborde le thème de la passion amoureuse interspécifique et de ses enjeux. À partir d’une ethnographie menée auprès des curiozeiros, des oiseleurs spécialisés dans l’élevage de Sporophile curio (ou curiós), et sur les lieux des tournois auxquels ils participent, l’autrice souligne l’ambivalence fondamentale des pratiques et des discours se rapportant aux comportements amoureux de ces oiseaux. En examinant successivement les contextes dans lesquels les curiozeiros suscitent et reconnaissent une continuité entre leurs sentiments et ceux de leurs oiseaux, puis ceux où ils tracent au contraire une frontière hermétique entre l’humain et l’animal, elle pose la question de l’élaboration et du maintien d’un régime ontologique naturaliste fondé sur la séparation de la nature et de la culture. Concrètement, il s’agit ici d’identifier les dispositifs conceptuels et matériels par lesquels les oiseleurs brésiliens stabilisent les identités spécifiques rendues poreuses par leur incursion dans la vie amoureuse des oiseaux. L’étude du concept d’instinct et de son usage par les curiozeiros permet de mettre en évidence certaines de leurs stratégies pour parvenir à consolider les contours des catégories d’humain et d’animal, toujours sujettes au vacillement. Par l’analyse des modalités de la transposition de ce concept en une réalité vécue par les oiseleurs, cet article entend donc montrer le caractère dynamique d’une ontologie qui doit être perpétuellement actualisée par les pratiques des acteurs.

‪Taking as its object a practice of birdkeeping turned towards bird singing competitions in Brazil (State of São Paulo), this article examines the theme of interspecific love passion and its implications. Based on an ethnography carried out among curiozeiros, bird breeders specialized in raising Sporophile curio (small passerines also known as curiós), and on the sites of the tournaments in which the breeders participate, it highlights the fundamental ambivalence of the practices and discourses relating to theses birds’ amorous behaviour. The article successively examines the contexts in which the curiozeiros arouse and recognize a continuity between their own feelings and those of their birds, and the situations in which, on the contrary, they draw an impervious boundary between human and animal. It thus raises the question of the elaboration and maintenance of a naturalistic ontological regime based on the separation of nature and culture. More specifically, the aim is to identify the conceptual and material devices whereby the Brazilian curió owners stabilize the specific identities made porous by their incursion into the love life of their birds. The study of the concept of instinct and its use by the curiozeiros highlights some of the strategies they use to stabilize the constantly wavering contours of the categories of human and animal. By examining the ways in which this concept is transposed into a reality experienced by the curió owners, this article intends to show the dynamic nature of an ontology that must perpetually be revised by the actors’ practices.‪