2021
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Sébastien Vacelet, « "Nodier et le sadisme : les « monstrueuses turpitudes » de Smarra" », HAL-SHS : linguistique, ID : 10670/1.f0027y
Les études nodiéristes ne se sont guère penchées sur les relations entre Nodier et Sade, le premier ayant tout fait pour amenuiser, en apparence, son intérêt pour l’œuvre sulfureuse du marquis. Pourtant, on le sait peu, Nodier est l’inventeur, ou le propagateur du mot « sadisme » en langue française, apparu pour la première fois en 1834, dans la 8e édition du « Dictionnaire universel » de Boiste, celle, justement, revue, amendée et largement amplifiée par Nodier. Le présent article se fixe pour objectif d’éclaircir cette relation frappée d’immoralité entre un écrivain soucieux de sa réputation et en quête de respectabilité (Nodier a été élu à l’Académie française en 1833, après deux échecs consécutifs) et l’auteur honni et occulté des « monstrueuses turpitudes » que forme son œuvre (l’expression est de Nodier à l’occasion d’un portrait du marquis), restée clandestine au XIXe siècle. Les scènes de torture mêlées d’érotisme dans « Smarra ou les démons de la nuit » (1821), d’une violence inouïe, sont pourtant de nature à expliciter cette fascination de Nodier pour l’auteur de Justine, ou les malheurs de la vertu (1791). Tant il est vrai que, dans le même temps, l’esthétique du cauchemar qui régit « Smarra », et même du cauchemar en abyme, se révèle être une puissante couverture face à la moralité ambiante. L’observation de la réception de « Smarra » dans la presse de l’époque est en effet de nature à montrer que ce qui choque les contemporains de Nodier, ce n’est pas tant les agissements immoraux du monstre Smarra et de sa maîtresse Méroé ou la nature trouble de leur relation (obéissant aux lois d’une forme de sado-masochisme, bien avant que Krafft-Ebing et la psychiatrie moderne ne s’emparent de ces notions), que l’apparition d’un ouvrage dont la frénésie heurte la sensibilité des partisans des Classiques, face à l’émergence des Romantiques dont Nodier sera reconnu comme leur fer de lance. Autrement dit, le système de valeurs mis en cause, et de façon surprenante, n’est pas tant moral qu’esthétique. Par cette relecture de « Smarra » sous l’angle du sadisme tel qu’il est défini en 1834 (« aberration épouvantable de la débauche ; système monstrueux et antisocial qui révolte la nature »), on frémit quelque peu face à un possible sens second du cri de ralliement de la nouvelle école romantique (« Nodo hierro », le nœud de fer), inventé à partir de l’étymologie supposée (en réalité fantaisiste), du patronyme de l’auteur de « Smarra ». Nodier, un bon père de famille, un conteur affable et jovial au coin du feu, vraiment ?