2014
Claire Boulard Jouslin, « The Making of public Opinion in the Free-Thinker (1718-1721): From Theory to Practice » », HAL-SHS : sociologie, ID : 10670/1.ftqvuf
Face à l’hostilité anti-hanovrienne qui régnait en Angleterre après l’avènement de George I, et dans la crainte de soulèvements jacobites qui détruiraient les acquis politiques de la Glorieuse Révolution le gouvernement whig confia au poète Ambrose Philips et à d’autres membres du parti Whig la publication du Free -Thinker, essai périodique bi hebdomadaire dont la tâche fut de transformer l’opinion considérée comme dangereuse et factieuse parce qu’ignorante et manipulée en une opinion publique éduquée et raisonnable qui comprendrait les bienfaits de la monarchie parlementaire. Le Free -Thinker entreprit donc de dénoncer et d’éduquer ceux qui constituaient l’opinion vulgaire, les femmes et les travailleurs , deux catégories qui selon les rédacteurs du journal exprimaient oralement et sans mesure des opinions pernicieuses. Pour cela, le Free -Thinker vantait les vertus de la libre pensée dont les principes fondateurs étaient la raison, l’éducation et la politesse. La stratégie du périodique consistait à enseigner l’histoire, la philosophie, la politique, la religion, et à redonner leur sens aux mots. Il espérait ainsi fournir aux lecteurs des outils de réflexion qui leur permettraient de devenir des citoyens. Le Free -Thinker devenait ainsi un des premiers théoriciens et praticiens de l’opinion publique.Pourtant ce travail de conversion n’allait pas sans contradiction. En redéfinissant la libre pensée comme la liberté de déchiffrer le monde selon une lecture providentielle et en établissant une équation entre opinion publique citoyenne et whiggisme, le Free -Thinker contredisait le principe d’objectivité raisonnable qu’il plaçait au coeur de la définition de l’opinion publique. Le ton parfois très polémique et partisan du périodique ajouté à une forme de contrôle de la correspondance des lecteurs montre la difficulté qu’avaient les rédacteurs à ne pas tomber eux même dans la simple opinion ainsi qu’ à faire confiance en la capacité de raisonner de leur lectorat. L’analyse du Free-Thinker révèle ainsi les ambiguïtés et les hésitations des rédacteurs qui tout en concevant leur périodique comme un outil privilégié de conversation et de raison, en vue de la constitution d’une opinion publique éclairée redoutent néanmoins l’échange intellectuel avec le lecteur et la pluralité des voix qu’ils associent au désordre.