2011
Cairn
Yannis Constantinidès et al., « Les petits anges déchus », La lettre de l'enfance et de l'adolescence, ID : 10670/1.gkcuuv
En osant le qualifier de « pervers polymorphe », Freud a réussi à modifier le regard ingénu porté sur l’enfant. Mais notre époque, en désespoir de pureté et d’innocence, semble résolue à le réangéliser, à en refaire sinon l’avenir de l’homme, du moins son passé fantasmé, idéalisé. Cette immaculée conception, si l’on ose dire, de l’enfant interdit de lui attribuer la moindre volonté consciente de nuire. Cherchant les causes de l’agressivité « morbide » dans l’environnement plutôt que dans la nature intime, psychologie et sociologie de l’enfance renouent, sans toujours le savoir, avec les grandes théories des penseurs des Lumières.Locke et Rousseau s’accordent en effet pour voir dans l’éducation familiale et sociale la véritable origine de la méchanceté et de la cruauté humaines, dédouanant ainsi l’enfant. Il suffirait donc de défaire l’œuvre de la société pour qu’il retrouve son innocence perdue, même si leur perception de cette innocence est très différente. Il faudra attendre Nietzsche pour déculpabiliser le « petit monstre » sans pour autant le considérer comme foncièrement incapable de mal agir. Les « mauvaises » pulsions sont en réalité plus naturelles et innocentes que les « bonnes », qui apparaissent justement avec l’intériorisation de la loi morale. Cette « renaturalisation » de l’enfant permet de l’envisager enfin sans complaisance et surtout sans puérilité. La Chute n’en sera que plus douce pour nos petits anges.