6 décembre 2013
Raphaël Chappé, « Montaigne, Spinoza, Feuerbach : l’homme en question », HAL-SHS : philosophie, ID : 10670/1.hknaz0
Nous partons du contraste entre l’anti-humanisme théorique d’Althusser (contre notamment Feuerbach) et certaines analyses plus récentes de l’« aliénation » (notion qui fut contestée par Althusser, en tant qu’elle renverrait à « l’humanisme », réduit à la reconnaissance d’un sujet maître de soi). Pour éclairer les enjeux de cette tension, nous prenons pour objet d’étude trois auteurs qui se démarquent de ce paradigme « humaniste » dominant au sein de la modernité : Montaigne, Spinoza, Feuerbach. Cherchant à établir qu’ils forment une ligne historico-philosophique, nous montrons qu’entre leurs pensées il existe des voies de passage historiques et d’importantes analogies. Leur façon même de se détacher, respectivement, des doctrines de la « dignité », de la « distinction réelle » de Descartes ou des variantes du sujet de l’idéalisme allemand, autorise la comparaison. C’est toujours sur fond de séparation de la philosophie d’avec la théologie que ces pensées se composent, tout à la fois, d’une perspective anti-humaniste et d’un souci de constituer une anthropologie naturelle. Si l’homme demeure au centre du discours, il ne s’agit pas du sujet de « l’humanisme ». Le travail consistant à rendre l’homme naturel contribue, à chaque fois, à défaire ce dernier de ses prérogatives traditionnelles et à libérer un espace pour concevoir l’aliénation. Nous découvrons que ces auteurs, qui ont mis passions et sensibilité au centre de l’homme, satisfont à deux injonctions apparemment contradictoires : d’un côté, le test anti-humaniste et, de l’autre, la nécessité d’aller vers un concept de l’aliénation, dans la protohistoire duquel ils s’inscrivent.