16 novembre 2022
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Maurizio Alì et al., « L’échec de la continuité pédagogique : présentation des résultats du projet « Formation et Enseignement en temps de COVID-19 dans l’outre-mer » (FECOM) », HAL-SHS : sciences de l'éducation, ID : 10670/1.hv6dmz
Cette communication présente le bilan final du projet de recherche Formation et Enseignement en temps de COVID-19 dans l’outre-mer (FECOM), piloté par l’Observatoire caribéen du climat scolaire et financé par le ministère de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation et son Comité d’analyse, recherche et expertise COVID-19, en systématisant les résultats obtenus et en apportant des propositions pour le futur. L’objectif principal du projet était de décrire la situation des enseignants (et futurs enseignants) en formation dans la France d’outremer pendant la période de confinement. Nous avons voulu connaitre leurs conditions de vie, d’étude et de travail et, au vu des contraintes imposées par le régime de lockdown, nous avons choisi de les interroger par le biais d’un questionnaire en ligne, diffusé entre mars et mai 2020.L’enquête était composée de 42 questions et visait cinq domaines d’analyse :•la possession de matériel informatique ;•l’accès aux ressources numériques ;•l’organisation de la vie domestique pendant le confinement ;•l’organisation du travail pendant le confirment ;•la qualité de vie, le bien-être et le stress.L’étude se composait de trois volets. La première enquête s’est réalisée auprès de 165 enseignants et conseillers principaux d’éducation en formation dans certains territoires ultramarins (Martinique, Guadeloupe, Polynésie française, Nouvelle Calédonie), inscrits dans un Institut National Supérieur du Professorat et de l’Education ou une École Supérieure du Professorat et de l’Education (Weiss et al., 2020a, 2020b, 2022a). Aussi, pour disposer de certains éléments nécessaires à l’interprétation des données obtenues (et expliquer certaines tendances ou incohérences), nous avons réalisé une enquête avec les enseignants des écoles primaires et secondaires des Antilles (Weiss et al., 2021, 2022b) et une autre avec les étudiants de l’Université des Antilles (toutes formations confondues. Weiss et al., 2022c).Les résultats obtenus montrent que :•Bien que les enseignants en poste dans l’outre-mer (en formation et titulaires) disposassent, à titre personnel, du matériel informatique de base, il n’était pas adapté aux besoins de l’éducation et de la formation à distance ;•Dans le cadre de la continuité pédagogique, les participants à notre étude ont privilégié l’utilisation des plateformes commerciales de messagerie et de partage des fichiers plutôt que les espaces numériques de travail institutionnels ;•La plupart des répondants a vécu avec difficulté les contraintes liées au télétravail et au partage des espaces domestiques ;•Les enseignants et les futurs enseignants (tout comme le groupe d’étudiants universitaires que nous avons interrogés) étaient très insatisfaits par rapport à la gestion de la continuité pédagogique. Ils ont évalué très négativement les politiques éducatives d’urgence et les choix pris par les décideurs (une impression partagée aussi par les parents des élèves, comme l’ont montré d’autres chercheurs ultramarins. Voir Cadousteau et al., 2021 ; Ailincai et al., 2022) ;•Finalement, une importante majorité des répondants, dans les trois enquêtes menées, a ressenti une forte sensation de malaise liée au régime de confinement et à la peur de la contagion. Les résultats de notre travail montrent que les obstacles structurels à la réussite éducative sont à l’origine de l’échec de la continuité pédagogique dans les territoires ultramarins. Des telles contraintes ont aussi amplifié les inégalités au sein de la communauté éducative et certaines catégories ont souffert plus que d’autres, notamment les fonctionnaires-stagiaires et les enseignants en début de carrière, mais aussi ceux en fin de carrière (plus épuisés et moins satisfaits de leur qualité de vie). Une grande majorité des répondants a notre étude n’a pas hésité à mettre en cause l’organisation du travail très hiérarchisée, bureaucratique et verticale de l’éducation nationale et à associer les métiers de l’enseignement à des bullshit jobs (cette typologie très particulière de « travaux à la con » étudiée par le célèbre anthropologue étasunien, récemment disparu, David Graeber, 2018). Nous espérons que notre travail pourra contribuer au débat, très à la mode, sur les opportunités offertes par le numérique : le cas de la France d’outre-mer (comparable à d’autres contextes postcoloniaux. Voir Weiss et Alì, 2022) nous montre, en effet, les limites des politiques du « tout à distance ». Et c’est justement pour réduire cette distance que, comme le montre notre travail, plus ou moins discrètement les enseignants et les futurs enseignants de l’outre-mer ont bricolé leur continuité pédagogique en ne suivant pas nécessairement les consignes en provenance des instances hiérarchiquement supérieures.