28 janvier 2000
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Anne Vibert, « L’Éloquence parlementaire sous la monarchie de Juillet. Guizot, Thiers, Tocqueville », HAL-SHS : littérature, ID : 10670/1.kgs3nt
L'éloquence, et a fortiori l'éloquence parlementaire, n'est plus un objet d'étude littéraire. Pourtant, jusqu'au XIXe siècle, l'éloquence a constitué l'essentiel de la formation intellectuelle : littérature et politique ne se pensent pas alors de manière séparée, et la rhétorique est le fondement de l'une comme de l'autre. D'où la nécessité de revenir à la rhétorique pour étudier les discours parlementaires et l'éloquence délibérative à laquelle ils se rattachent.À cet égard, la monarchie de Juillet est une période privilégiée qui permet pour la première fois à cette éloquence de se développer durablement dans un cadre réglementaire favorable. Le discours libéral majoritaire affronte alors les réalités du pouvoir, et les orateurs doivent apprendre à utiliser la parole pour gouverner. Très vite, Guizot et Thiers se révèlent des maîtres dans l'exercice de cette parole confrontée à la liberté d'expression. Leurs discours s'adressent à l'auditoire restreint des députés et de leurs électeurs, et ils tentent de rallier au régime les « hommes de sens » qu'effraient les passions révolutionnaires. Pour cela, il leur faut concilier ces valeurs a priori contradictoires que sont l'ordre et la liberté. Mais si Guizot et Thiers sont proches par les valeurs qu'ils défendent, c'est par des styles très différents qu'ils contribuent l'un et l'autre à la création d'une éloquence délibérative moderne. Tocqueville, entré à la Chambre des députés en 1839, n'a certes pas les mêmes facilités d'improvisation, et il se plie à grand peine aux compromissions du jeu politique. Mais sa voix, quoique isolée, n'en participe pas moins au renouveau du genre délibératif en France.L'éloquence politique va néanmoins souffrir de la sclérose du régime qui contribue à séparer les champs de la politique et de la littérature, sans que les orateurs aient pour autant démérité. Dans cette rencontre manquée, ce sont aussi bien les écrivains romantiques qui se montrent incapables de s'adapter aux nouvelles formes de l'éloquence. Si la monarchie de Juillet accuse la rupture entre l'écrivain et l'homme politique, au moins l'éloquence parlementaire aura-t-elle fait la preuve de son efficacité politique, sans se départir de ce qu'elle a aujourd'hui définitivement perdu : le style.