25 septembre 2020
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Stephane Sachet, « L’arbre en agriculture, trajectoire d’un problème socio-écologique et reconfigurations des interdépendances au nom de l’agroécologie. », HAL-SHS : sociologie, ID : 10670/1.khv7fr
Destitué par la modernisation agricole, l’arbre a perdu sa place ancestrale en agriculture pour être ségrégué en forêt. Or, en quelques décennies, la trajectoire de ce problème socio-écologique est passée des politiques de remembrements aux soutiens aux plantations. Avec l’agroforesterie, les agriculteurs et les acteurs sociopolitiques de l’agriculture redécouvrent les fonctions écologiques des arbres, leurs rôles dans la résilience des écosystèmes agricoles. Cette thèse étudie les configurations sociales inhérentes à ce renversement du cadrage de l’arbre en agriculture, ainsi que le jeu des interdépendances qui éveille l’attention publique, réoriente ses priorités et transforme les pratiques, comme le statut des agriculteurs en transition. Elle propose une approche de sociologie historique en recourant à une lecture des interdépendances socio-écologiques. Elle articule une analyse par configuration sociale chère à Norbert Elias associée aux outils analytiques de la sociologie des problèmes publics. L’enquête s’appuie sur des entretiens semi-directifs menés auprès d’acteurs publics, institutionnels et scientifiques et sur l’observation participante au sein de deux groupes d’agriculteurs, conduite entre 2016 et 2020. Le premier collectif est le réseau de fermes pilotes « Agr’eau » dans le Sud-ouest et le second est le Groupement d’intérêt économique et environnemental « Sols vivants 35 » en Bretagne. Paysans, scientifiques et militants écologistes partagent un sentiment de trouble face à la radicalité des arrachages dans les configurations sociales de modernisation puis de spécialisation de l’agriculture. La contestation se mue en opération de légitimation pour finalement constituer avec les pouvoirs publics un nouveau regard sur l’arbre en agriculture. La mise en politique de l’agroforesterie est analysée, sur le plan national, avec le Projet agro-écologique pour la France et sur le plan européen avec le verdissement de la PAC. Elle montre l’inflexion de la nature du dialogue social dans la définition des politiques. […]Grâce à la maîtrise des référentiels techniques et la prise de pouvoir dans le jeu de la représentation des intérêts qui concourent à la définition des politiques agricoles, ce nombre restreint d’agriculteurs en transition représente une élite en formation. La question qui se pose désormais est de savoir si la définition plurielle, complexe et localisée des agroécosystèmes résistera à l’éventuelle formation d’une élite, qui risque de former un monopole sociotechnique, afin d’assoir les standards techniques qu’elle est en train de légitimer. Ces observations permettent de discuter la théorie du « procès de civilisation » de Norbert Elias. Celle-ci souligne l’allongement continu des chaînes d’interdépendances, processus de diversification et de spécialisation des fonctions sociales. Or, nos observations montrent que cette théorie prend insuffisamment en compte les trajectoires cycliques des configurations sociales. En effet, la transformation d’un système normatif implique que les chaînes d’interdépendances sociales liées aux normes caduques ne peuvent plus poursuivre leurs dynamiques d’accroissement. De même, la diversité et la spécialisation des fonctions, telles qu’elles sont instituées dans la configuration sociale qui détient le monopole normatif, sont forcément interrogées. Ainsi la coexistence entre une configuration sociale, en fin de stabilité, avec une autre en cours de constitution, aboutit à la recomposition des chaînes d’interdépendances sociales. Certes, l’asymétrie entre les fonctions sociales spécialisées est interrogée lorsque les acteurs des deux configurations entrent en compétition, mais l’interdépendance après cette période d’affaiblissement reprend de l’intensité, sur la base de nouvelles coopérations. La spécialisation des fonctions prend un temps d’arrêt, elles s’hybrident, avant de former un éventuel nouveau monopole.