2002
Cairn
Clé Lesger et al., « Is there life outside the migrant network? German immigrants in XIXth century Netherlands and the need for a more balanced migration typology », Annales de démographie historique, ID : 10670/1.m9cec5
À Rotterdam et Utrecht au xixe siècle, comme à Londres ou New York, les Allemands forment un groupe hétérogène. Pour autant, entre ces deux villes hollandaises, il est possible de dégager des nuances notables. Certes les possibilités différentes offertes par chacune des cités attirent des types logiquement différents d'immigrants allemands, du point de vue du sexe, des origines et des professions. Mais le plus frappant est l'opposition entre les modes migratoires. A Utrecht, environ la moitié des Allemands sont concentrés dans un petit nombre de niches, conformément au modèle habituel des chaînes migratoires. Rotterdam en revanche fournit un paysage plus dispersé, sans réel regroupement fondé sur l'activité professionnelle ou l'origine régionale. Ces formes de migrations hors-réseau, qui sont souvent sous-estimées par la littérature scientifique sur les chaînes migratoires, sont tout à fait passionnantes en ce qu'elles nous montrent qu'il convient de se garder de considérer toute migration comme profondément modelée par les réseaux personnels des individus mobiles. Par notre typologie à trois dimensions – « espace, temps, mode » –, nous voudrions suggérer combien serait utile de distinguer au sein des modes migratoires les migration à réseau, les migrations organisationnelles, enfin les migrations hors-réseau. Le concept de « migration organisationnelle » est plus large que la notion de « migration de carrière » développée par Charles Tilly et dont elle s'inspire. Dans notre cas, elle ne se réduit pas aux couches intermédiaires et supérieures de la société, mais comprend tous les migrants qui ont partie liée à ces sortes de réseaux professionnels. Ainsi à Rotterdam, ceux qui travaillent comme employé ou commis dans le commerce ou les firmes d'import-export, ainsi que les apprentis de multiples métiers (tailleurs, boulangers, bouchers...). Tous étaient au courant des possibilités spécifiques offertes par certaines villes hollandaises et ne se reposaient pas nécessairement sur des contacts personnels ou des réseaux sociaux pour effectuer leur migration. Quant aux migrations hors-réseaux, elles correspondent en définitive aux immigrants qui se déplacent de manière autonome sans se reposer sur des réseaux personnels particuliers et qui n'entrent pas dans des structures professionnelles organisées. Comme les précédents, ils sont avertis des perspectives que le marché du travail leur offre sur leur lieu d'arrivée, mais cette connaissance reste générale, sans information particulière sur des domaines spécifiques. Les servantes, les personnes employées dans le secteur de la restauration ou des transports entrent dans cette catégorie. Elles migrent parce qu'elles estiment qu'il y aura toujours du travail disponible dans une grande cité en expansion. Il est évident qu'une ville comme Utrecht est moins susceptible d'attirer ce genre de migrants « aventureux ».