24 novembre 2023
Emmanuel Levine, « Voir les invisibles. Une phénoménologie critique de l'invisibilité sociale d'après Emmanuel Levinas », HAL-SHS : philosophie, ID : 10670/1.oy96le
Très souvent mobilisée dans l’espace public et dans les sciences sociales, la notion d’invisibilité sociale englobe l’ensemble hétérogène des situations qui produisent chez certains individus le sentiment de ne pas être vus en raison de leur classe, de leur genre, de leur sexualité, de leur race, de leur handicap, de leur nationalité, de leur précarité, etc. À partir d’Emmanuel Levinas et en dialogue avec deux de ses lecteurs politiques, Enrique Dussel et Judith Butler, cette thèse entend répondre aux quatre questions suivantes : qu’est-ce que l’invisibilité sociale ? Comment est-elle constituée ? Comment est-elle vécue ? Comment l’abolir ? En prenant au sérieux cette métaphore visuelle, nous commençons par décrire le regard invisibilisant comme une perception insensible au sein d’un système de domination, alternant entre hypo-visibilité et hyper-visibilité. Dans une approche génétique et en débat critique avec trois paradigmes philosophiques, nous exhumons trois strates de l’invisibilité sociale : les perceptions méprisantes qui humilient les individus dominés (Axel Honneth), les représentations excluantes qui relèguent certains corps en dehors de la sphère publique des apparences (Hannah Arendt) et les subjectivations nécro-politiques qui produisent des vies déshumanisées (Michel Foucault). Nous clarifions ensuite la manière dont l’invisibilité sociale configure l’expérience vécue des invisibilisés, leur corporéité, leur perception du monde, leur rapport au temps, leurs affects négatifs ainsi que la difficile conscientisation de leur situation en vue d’une émancipation individuelle et collective. Nous montrons enfin en quoi « voir les invisibles » et transformer les regards invisibilisants implique une perception sensible, une représentation éthico-critique et une subjectivation fondée sur une responsabilité sans reconnaissance. Sur le plan historique, ce travail révèle des aspects méconnus de l’œuvre de Levinas, présente au public français l’éthique de la libération de Dussel et montre l’influence profonde qu’eut la phénoménologie sur Butler. Sur le plan méthodologique, cette thèse esquisse le projet d’une phénoménologie critique à la croisée des phénoménologies post-husserliennes et des théories critiques contemporaines permettant de décrire, mettre en question et transformer les injustices sociales.