The ornamental cane-screens (çîẍ) of Iraqi Kurdish nomadic breeders

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20 janvier 2022

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Michaël Thévenin, « The ornamental cane-screens (çîẍ) of Iraqi Kurdish nomadic breeders », Publications scientifiques du Muséum national d'histoire naturelle, ID : 10670/1.pdv9nf


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Résumé En Fr

From Central Asia to the Middle East, cane-screens made of woven strips of reed, wicker or other stems are traditionally used in nomadic shelters. Those of the Iraqi Kurds, called çîẍ, are used as the outer walls of the tents and inside, they separate the diwanxané, an area dedicated to hospitality, from domestic places, creating de facto male and female spaces. The interior çîẍ of the Mantik tribal identity breeders of the Iraqi Kurdistan Regional Governorate (KRG) has the particularity of being decorated entirely with ornamental diamond-shaped motifs. This type of decoration on the interior cane-screen is new in the group, of the order of two generations. In this way, we will see that this nomad object encompasses both a physical and symbolic capacity, but also participates in opening. They participate in the maintenance of the boundaries of the Mantik breeders in a violent regional, social and geopolitical context. The particularity of the group is that the two vertical poles of pastoral attraction (wintering and summering), as well as their routes, are located in areas of political and armed tension. The Iranian and Turkish armies regularly bomb the summering zone because of the presence of Kurdish armed identity groups. In the wintering zone, the Mantik villages are located around the ceasefire line since the end of the civil war between the two rival major Kurdish parties: the KDP and the PUK. On the way to the summering mountain pastures, tensions are fraught among all the protagonists. In their techniques, visual compositions and use, cane-screens, with or without patterns, show surprising permanency for a typical object with a constant figurative corpus from nomadic culture, in a Kurdish society wounded by years of erasing anthropological locations. The terms gul and nresh gul and the repetition of the diamonds echo the composition of a garden, an allegory of paradise awaiting the believer and of carnal pleasures that contribute to a type of eroticization of the household’s daily life. The ornamental çîẍ also carries the values of hospitality, protects the family’s intimate space from the gaze of strangers, and turns the envious eye away in the evocation of Paradise. Finally, due to the operational chain, but also to the gift and reciprocal exchange of work in which they participate, the çîẍ incorporates solidarity injunctions inside the group: first between female members, and female and male members of the samebinamâl; then between the various lineages. The Mantik’s ornamental cane-screens, as diplomatic objects, belong to what the philosopher Alfred Gell calls the techniques of enchantment, a conception of art according to which it is propaganda for maintaining the status quo, a technical and aesthetic means of accepting common rules in a society. In the context of the KRG and the Mantik herders: a ritual of protection, solidarity and territorialisation where the tent is set up..

Les claies ornementales des nomades kurdes irakiens : un objet d’enchantement chez les Mantik ?De l’Asie centrale au Moyen-Orient, des claies faites en tiges végétales nouées entrent traditionnellement dans la composition des habitations mobiles (Yourte, alaçiq, tente noire). Ces claies de diverses factures sont utilisées entre autres comme parois de protection contre le vent, la poussière, les animaux, les regards extérieurs, et séparent des espaces sous le velum. Les claies des éleveurs kurdes d’identité tribal Mantik, nommés çîẍ dans le Gouvernorat Régional du Kurdistan irakien (KRG) sont constituées de roseaux (Phragmites australis) et de fils, et sont utilisées comme parois extérieures et intérieures des tentes noires. Leur fabrication entre dans un ensemble de tâches communes saisonnières, qui constituent une forme traditionnelle d’échange réciproque de travail impliquant la famille élargie ou le groupe. La paroi intérieure qui sera décrite ici est entièrement décorée de motifs ornementaux en forme de losanges et sépare sous la tente le diwanxane, l’espace dédié à l’hospitalité, des lieux domestiques. Ce type de décoration sur la claie intérieure est nouveau dans le groupe, de l’ordre de deux générations. Nous verrons ainsi que cet objet englobe donc à la fois une dimension de cloisonnement (du genre, de la famille, du groupe), mais aussi d’ouverture (par la porosité genrée de la chaîne opératoire, par les valeurs d’hospitalité et l’innovation). Il participe à l’entretien des frontières des éleveurs Mantik, mais aussi à l’autoconstitution et l’autolimitation du groupe.Les villages des familles Mantik sont regroupés majoritairement dans un massif érodé steppique nommé Dedawan situé dans le district de Koya dans le gouvernorat d’Erbil, à l’Est de la capitale du Gouvernorat régional du Kurdistan irakien (KRG). Ces villages sont de différentes factures selon le degré de sédentarisation, l’accès à la propriété et la richesse des familles. Les déplacements saisonniers de ces familles d’éleveurs mobiles sont de deux types : déplacement elliptique horizontal (dans le cas d’une impossibilité d’utiliser les estives) et vertical (avec estive dans le district de Choman), avec entre les deux pôles d’attraction (hivernage et estive), l’utilisation de pâturages de printemps et d’automne. Les familles vivent ainsi durant six à huit mois hors de leur village hivernal. La particularité du groupe Mantik est que les deux pôles verticaux d’attraction pastorale (hivernage et estive), ainsi que leur parcours, sont situés sur des zones de tensions politiques et armées.L’outil utilisé pour fabriquer les çîẍ s’apparente à un métier à tisser vertical à poids de chaîne ou à pesons. Cependant, il n’est pas composé de plusieurs objets spécifiques. C’est plutôt une installation rudimentaire recréée pour l’occasion. Celle-ci consiste en une poutre droite cylindrique en bois, nommée darçîẍ ou Kargadan, posée horizontalement sur deux supports verticaux. Sur le darçîẍ vient pendre les fils de la chaîne mises en tension par des pierres enroulées et fixées à leurs extrémités. C’est sur le darçîẍ que les femmes vont assembler les tiges de roseaux. Les fils de la chaîne qui étaient avant exclusivement en laine ou en poils de chèvres, sont désormais en grande majorité des cordelettes confectionnées à partir de tissus de seconde main ou neufs achetés au bazar. Les tiges de roseaux ou d’osiers récoltés durant l’automne sur le bord des rivières sont coupés essentiellement par les hommes qui sont ici d’autant plus nécessaires qu’il faut aller en voiture sur les sites de récoltes, et sur des territoires qui sortent du domaine d’influence du groupe. Les pierres, ramassées par les femmes, sont gardées par une famille, çîẍ après çîẍ, et parfois circulent entre les familles d’un même village, tout comme le darçîẍ. Les çîẍ ornementaux reproduisent de manière répétitive des motifs en forme de losanges. Ces motifs sont appelés gul (fleur) ou nresh gul (dessin de fleur) par les femmes. Le losange est un symbole féminin par excellence (forme schématique de la vulve) et par extension de fertilité. Sa répétition à la fois verticale et horizontale sur le cane-screen, offre l’hypothèse d’un récit symbolique généalogique féminin, nuançant celui de la mémoire préférentielle du lignage agnatique au sein de la tribu kurde (Fogel 2008). Les losanges font également écho au jardin d’agrément dans la société kurde, et dans les mondes perse antique et arabo-musulman en général. Le Coran assimile le jardin au paradis et à ses jouissances charnelles qui attendent les croyants. Les çîẍ décorés agiraient ainsi comme de véritables jardins suspendus, offrant à l’intérieur de l’espace d’hospitalité des tentes des éleveurs, à la fois une expérience sensorielle érotisée par les motifs en losange, mais aussi un lieu de purification de l’âme par le jardin symbolisé. La claie ornementale est la paroi au pied de laquelle on accueille l’étranger ou le mari. Plusieurs auteurs ont décrit la dimension hostile et ambiguë de l’hospitalité. L’étranger est ce voyageur que l’on ne connaît pas, mais que tout bon croyant se doit d’accueillir, et « à qui il s’agit de tout donner, alors même qu’il est en temps normal considéré comme moralement inférieur aux membres du groupe », ceci afin de suspendre, temporairement du moins, sa possible hostilité. De plus, la société kurde est régie par un ensemble de codes d’interaction sociale apparentés au Ta’ârof iranien (code d’invitation, de salutation), une vision sceptique de la nature humaine qui prend acte que le lien social est une pure fiction, chacun devant cacher son ‘moi’ intérieur, possiblement corrompu par des envies égoïstes et proscrites. L’hospitalité sur les campements s’effectue donc par des rituels de passage, puis par une intégration : le partage du thé et du repas. Le temps sous la tente consiste en un temps pacifié où le çîẍ ornemental, par sa dimension onirique et érotique, participe à l’optimisation des échanges dans le cadre des conventions comportementales en vigueur. Au sein du couple et de la famille, il pacifie les humeurs, et mesure « l’habileté esthétique de la femme » à renforcer le mariage et les liens familiaux.Les çîẍ décorés font également partie de ces objets qui peuvent constituer un don matériel dans le cadre d’une socialité primaire. Ils entrent aussi dans des échanges réciproques de travail. Faire un cane-screen ornemental nécessite un temps et un savoir-faire ‘en plus’ et donc une main d’oeuvre qualifiée et mobilisable, ce que ne peuvent pas fournir toutes les familles. Le don s’incarne à la fois comme objet fini en mode one to one, mais aussi en mode All for one, one for all comme des aides occasionnelles envers ses proches, et apprentissage de la technique par diffusion en raison du nombre de femmes et de jeunes filles impliquées dans la fabrication de l’objet. La réciprocité est différée et parfois asymétrique en raison des différences sociales dans le groupe. Mais ici, la relation prime sur le service rendu. Il ne s’agit pas de rendre l’équivalent, mais plutôt de satisfaire à l’injonction de solidarité et de cohésion du groupe, notamment en raison de sa situation économique et géopolitique. Les çîẍ sont donc aussi le reflet du statut social des familles : ni suffisamment riches, car elles restent dépendantes des villageois sédentaires, des riches propriétaires terriens, et du contexte géopolitique incertain du KRG ; ni suffisamment pauvres, car le groupe Mantik accède malgré tout, par l’intermédiaire de quelques familles, à la propriété et à une forme de promotion sociale. L’objet traduit ainsi le prestige bien précaire de ces familles nomades. Ils sont un exemple d’exposant antagonique, un signifiant situé entre « triomphalisme et résignation » (Baudrillard).Les claies ornementales sont donc d’abord une étonnante permanence culturelle et fonctionnelle d’un objet mémoriel typiquement nomade au sein d’une société kurde meurtrie par des années de conflits. Les çîx incorporent des valeurs de solidarité à l’intérieur du groupe : d’abord entre membres féminins, puis entre membres féminins et masculins de la même binamâl (relativisant ainsi l’image d’une activité essentiellement féminine) ; enfin entre les différents lignages, par le don, le prêt et la réciprocité. Ils maintiennent la continuité de la séparation genrée de l’espace, des tâches et leur hiérarchisation, et dans ce sens, les femmes Mantik construisent et investissent l’objet de leur cloisonnement au genre et à la reproduction de l’ordre établi. Mais ce cloisonnement est pacifié, rendu « joli » par les décorations, mais surtout participe à une forme d’érotisation du quotidien du foyer. Les çîx ornementaux protègent également l’espace de l’intimité familiale du regard des étrangers, et détournent l’oeil envieux par l’évocation du jardin. Ils sont porteurs de valeurs liées à l’hospitalité, et agissent comme des objets diplomatiques au service d’une conception particulière de la société apparentée au Ta’ârof de la culture iranienne. Par ce qu’ils font à l’intérieur et à l’extérieur du groupe, ils appartiennent à ce que le philosophe A. Gell nommait les techniques d’enchantement et son corollaire l’enchantement de la technique, une conception de l’art selon laquelle il est une propagande esthétique en faveur du statu quo dans une société donnée. Dans le contexte du KRG et des éleveurs Mantik : un rituel de protection, de solidarité et de territorialisation là où se pose la tente.

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