« La fourchette et la cuiller : pourquoi les intermittences proustiennes sont-elles du coeur ? »

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2016

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Stéphane Chaudier, « « La fourchette et la cuiller : pourquoi les intermittences proustiennes sont-elles du coeur ? » », HAL-SHS : littérature, ID : 10670/1.po2h3p


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Il y a deux grandes épiphanies dans la Recherche ; l'une est russe et l'autre est grecque. La seconde fait descendre l'éternité dans la vie, ce qui clôt le roman ; la première révèle la loi de l'intermittence. Parce qu'il était féru d'absolu littéraire, Proust croyait qu'il fallait être grec pour s'autoriser à parler russe ; qu'il fallait en passer par l'expérience sublime de l'éternité pour pouvoir rendre compte, par l'écriture, de l'intermittence sublunaire. L'une irrigue le quotidien, et c'est l'intermittence ; l'autre soulève la vie, et c'est l'éternité. La loi de l'intermittence est déchirante, donc poétique, puisque la souffrance, chez Proust, fait penser et écrire ; mais comme elle est engainée dans le temps perdu, elle ramène l'humain à sa finitude ; jamais elle ne sera considérée comme l'étincelle qui allume le moteur de l'écriture. Elle en serait certes capable, mais elle n'en est pas digne ; car si le héros de Proust jouit de l'éternité, qui le rend joyeux, il subit l'intermittence, qui le rend triste. L'intermittence nous parle d'un corps douloureux, dont la chair n'en finit pas de buter contre son propre pathos ; c'est en cela qu'elle est russe. L'intermittence fait de la souffrance et de son corollaire éthique, la pitié, l'alpha et l'oméga de l'existence humaine. L'éternité nous parle d'un corps glorieux, promis à devenir cet esprit qui anime les mots et les transforme en style. L'intermittence et l'éternité sont un moyen commode de résumer le dualisme proustien ; ce dualisme est éclipsé par la dialectique d'un roman d'apprentissage : tout homme selon Proust devrait passer de l'intermittence à l'éternité pour que l'artiste en lui puisse, depuis l'éternité, témoigner de l'intermittence. De, mais non pour, en faveur de. L'intermittence est un fait – et non une valeur. Si les intermittences sont du coeur, c'est parce que le coeur est voué à souffrir ; d'abord, il souffre d'avoir à souffrir, et ensuite d'avoir à ne plus souffrir ; cette succession fait que tout ce qui est intermittent est dénué de sens ; n'est signifiant que ce qui est éternel. Telle est la triste vérité de la contingence – et dont délivre l'écriture. Cette étude veut montrer que l'intermittence (russe) inscrit dans le concret de l'existence l'idée (grecque) selon laquelle la contradiction est souffrance ; à cela s'ajoute l'idée (russe) que la contradiction est sans dépassement autre que spirituel ; or la spiritualité proustienne n'est pas orthodoxe ; elle nie la transcendance, le surnaturel ; elle n'aime et ne connaît que l'immanence, sur laquelle elle veut pourtant greffer l'idée d'éternité. N'est-ce pas la définition selon Proust de la poésie (ou de la beauté) dont est capable son roman ?

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