“À quoi pense la critique ?” Réflexions sur la critique littéraire philosophique

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24 octobre 2001

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Philippe Zard et al., « “À quoi pense la critique ?” Réflexions sur la critique littéraire philosophique », HAL-SHS : littérature, ID : 10670/1.qa5z4q


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Il s'agissait de réfléchir à un « objet mal identifié du paysage critique » : la critique philosophique des textes n’apparaît comme telle dans aucun des grands ouvrages de synthèse sur la critique littéraire. Examinant les dits et non-dits de Jean-Yves Tadié sur la question, je relevais que l’exclusion de la critique des philosophes (ou du moins de la plupart d’entre eux) du champ de la critique littéraire reposait sur trois critères : « - un critère disciplinaire ou institutionnel : la critique philosophique n’a pas abouti à un courant ou à une école clairement identifiables ; – un critère technique ou instrumental : la critique littéraire doit recourir à des méthodes rigoureusement définies, et en particulier à l’histoire et aux sciences humaines ; – un critère d’objectivité : un critique littéraire doit être désintéressé ; l’artiste et le philosophe, construisant leur œuvre propre, prisonniers de leur idiosyncrasie, sont trop prompts à projeter indûment sur l’objet de leur étude leur métaphysique personnelle ou leurs affinités électives ». L’article s’efforçait donc de nourrir le débat sur ces trois points. Sur l’existence d’un courant que l’on pourrait caractériser comme « critique philosophique », la réponse demeure prudente, refusant les définitions trop restrictives ou trop extensives (celles qui verraient dans toute critique littéraire une décision philosophique implicite) pour définir un périmètre très large, qui va du dialogue de philosophes avec les grandes œuvres (Heidegger, Benjamin, Deleuze) à la renaissance récente d’une herméneutique philosophique des textes littéraires (autour des œuvres de Macherey, Campion, Ricœur), dont la nouveauté résidait dans le retour épistémologique sur ses propres méthodes et enjeux. À la deuxième question – celle des « méthodes » –, l'article tente de répondre en distinguant les apports critiques d’un savoir philosophique sur les œuvres (qui, comme tel, cependant, comporte les mêmes risques et les mêmes avantages que n’importe quelle critique des sources) de l’usage heuristique d’une grille philosophique dans le commentaire d’une œuvre, indépendamment de tout emprunt ou influence : « le sens authentique de ce geste critique ne saurait être alors celui d’une conception illustrative du texte littéraire (l’interprète se contentant de vérifier, si cela a un sens, la coïncidence entre une pensée philosophique et une œuvre littéraire) mais plutôt d’user de la philosophie (ou d’un concept philosophique) comme d’un opérateur de lecture susceptible de faire apparaître l’œuvre sous un jour inaperçu, de faire émerger de nouveaux réseaux de cohérence ». À ces deux premières tendances, qui relèvent soit de l’intertextualité proprement dite, soit d’une forme de comparatisme, s’ajoute celle de Vincent Descombes pour qui « la lecture du texte se soutient ou s’effondre par des raisons philosophiques » : « Il s’agit alors de montrer comment une œuvre fait sens (ou peut faire sens) philosophiquement, peut intéresser le débat philosophique ou s’éclairer à la lumière d’une approche conceptuelle qui ne serait pas puisée à une source extérieure ». Le problème se pose différemment selon que le critique s’essaie à mettre au jour l’« impensé philosophique » d’œuvres apparemment étrangères à la philosophie ou à lire des œuvres dont les auteurs sont aussi des « penseurs » (Rousseau, Sade, Proust, Dostoïevski, Musil, Broch…). Mais d’autres questions de méthode surgissent aussitôt : « Il s’agit alors, pour le critique, tantôt de prendre la mesure de cette pensée à l’œuvre dans le texte, tantôt de se mesurer à elle, tantôt d’évaluer les rapports qu’entretiennent dans l’œuvre la dimension spéculative et la matière fictionnelle ou poétique. Si l’opération semble pouvoir se justifier dans le cas des œuvres à fort coefficient d’abstraction spéculative (comme c’est le cas pour celle de Musil ou de Proust), qu’en est-il des œuvres où toute la dimension métaphysique semble reversée dans la fable, comme celles de Beckett ou de Kafka ? L’interprétation philosophique ne risque-t-elle pas alors de se réduire à une “traduction”, nécessairement réductrice ou allégorisante, d’un énoncé narratif ? ».Enfin, la question du « soupçon » pesant sur l’approche philosophique de la littérature est abordée dans la dernière partie de cette communication. L'article souligne d’abord ce que l’énoncé de ce soupçon peut avoir de rituel, venant de critiques soucieux de soustraire leur auteur à une « récupération métaphysique », avant d’ajouter que la critique philosophique contemporaine a intégré cette clause de précaution. Macherey lui-même convient qu’une lecture philosophique ne peut se contenter de voir dans les textes le dépôt de vérités informulées « auxquelles il reviendrait à la philosophie de donner leur expression définitive ». De là, une attention nouvelle portée à la dimension énonciative et narrative des œuvres chez Ricœur, Campion, ou Descombes.À l’appui de cette idée, l'étude s’attarde sur la comparaison de deux approches philosophiques marquantes de l’œuvre de Proust : celles d’Anne Henry et de Vincent Descombes. La première, si décisive que soit sa contribution à l’intelligence de la genèse de la Recherche, fait aussi apparaître deux écueils d’une certaine critique philosophique : « d’abord la priorité accordée aux éléments théoriques et propositionnels de l’œuvre de Proust, au détriment de la logique propre de sa narrativité, envisagée uniquement à travers sa fonction illustrative ; en second lieu, une tendance assez prononcée à la normativité : passer l’œuvre au crible de ses héritages philosophiques et des propositions qu’elle énonce, c’est aussi la juger, et parfois se situer à la place du professeur corrigeant les négligences argumentatives ou la désinvolture conceptuelle du disciple, fût-il un grand écrivain ». La démarche de Descombes peut paraître plus ouverte en ce que, sans se départir tout à fait de la tentation de « corriger » les énoncés philosophiques de Proust, il vise à montrer que son roman va plus loin que ses théories ; l’approche de Ricœur va dans le même sens. Le débat traverse ainsi l’ensemble du champ philosophique : « primauté au narratif ou à l’argumentatif, à l’expérience du langage ou à l’expérimentation conceptuelle, à l’accueil du texte dans sa multidimensionnalité ou à sa transposition en énoncés théoriques. Il y va bien de l’autonomie de l’art dans ce débat, et de sa capacité propre à communiquer sinon la vérité, sinon des “révélations”, du moins du sens ».Le second risque de cette critique, régulièrement allégué, concerne la « polysémie du texte » et la « liberté du lecteur ». On y répond d’abord en notant qu’en plaçant au premier plan la question de la vérité, les philosophes réintroduisent des questions essentielles dont il n’y a pas lieu de faire l’économi, – tout en concédant que ce souci passait souvent par une « préférence accordée aux processus conscients de l’œuvre » et un « postulat de cohérence », au détriment de « la part du “jeu”, et donc de liberté, – inséparable de la création ». Toutefois, la critique philosophique a beaucoup perdu, aujourd’hui, de son arrogance hégémonique : plutôt que de « prétendre détenir le dernier mot d’un texte littéraire, elle se contente d’en explorer une virtualité sémantique » et s’intègre peu à peu dans la pluralité du paysage et des méthodes critiques. Il n’est pas rare d’ailleurs que la démarche philosophique elle-même fasse droit « à la polysémie des textes, à ses lignes de fracture, à ses contradictions ». Pour finir, on se demande si « le reproche d’attentat à la polysémie » n’en cache pas un autre, « celui qui viendrait, au fond, condamner par principe toute tentative d’arrimer la littérature à l’expérience du monde et du sens. Si la littérature est intransitive, si elle ne fait que célébrer son propre processus langagier, si elle n’a que des formes à expérimenter et jamais des significations à proposer, alors la critique philosophique est effectivement vaine [...] La condition épistémologique de toute fécondité critique réside dans le refus de statuer sur la “littérarité”. C’est paradoxalement au moment même où l’on a voulu donner au texte littéraire sa pleine autonomie qu’on l’a (trop souvent) condamné à ne plus rien signifier, sinon la réitération infinie et lassante de son essence supposée ».

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