"La partie solide de l'esthétique": Une science des formes à l'âge de l'industrie

Résumé En

Comment les arts techniques trouvent-ils leur place, de la science du beau à l’esthétique scientifique ? Comment les dimensions techniques et matérielles sont-elles abordées dans cette esthétique française en cours de constitution ? L’idée d’une « esthétique pratique » émerge des débats sur la formation au dessin, aux métiers et aux arts industriels. Nous voulons examiner plus spécifiquement les entreprises théoriques de deux architectes, Jules Bourgoin et Émile Reiber, dans les années 1870-1880. Elles s’élaborent à partir de la collecte d’un large corpus d’art décoratif et d’ornement. Elles dessinent un ambitieux programme de classification didactique, conjuguant décomposition géométrique et analyse matérielle et technique. Ces recherches patientes affirment vouloir apporter, en marge des « amplifications littéraires » des philosophes, « le fondement solide des sciences exactes aux principes chancelants de l’esthétique ». Elles débordent néanmoins l’ambition « pratique » annoncée – la transmission d’un savoir formel largement diffusé dans toutes les couches de la population, l’inventaire rationalisé des formes dans la perspective de la mécanisation de l’ornement– pour tisser, dans les marges des réflexions des philosophes, un imaginaire scientifique non moins fécond pour les développements futurs de l’art. Ainsi les méthodes d’analyse formelle envisagées par Bourgoin engagent un appareil épistémologique foisonnant, de la philosophie des mathématiques aux sciences naturelles et du langage. Celle de Reiber embrasse un vaste panorama didactique, englobant le classement analytique des céramiques anciennes comme la gymnastique scolaire.