La famille, support des mobilités des polynésiens et de leurs ancrages

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La Polynésie française est une collectivité d’Outre-Mer de la République française à la géographie singulière : elle est constituée de 118 îles dont 74 sont habitées, réparties sur une zone équivalente à la surface de l’Europe. Son territoire est le théâtre de nombreuses mobilités : les habitant·es du fenua sont bien souvent contraint·es de parcourir des centaines voire des milliers de kilomètres pour avoir accès à un emploi salarié ou aux services publics de proximité tels que l’éducation ou la santé. La centralisation du territoire polynésien a accompagné son développement économique. Celui-ci s’accélère avec l’ouverture du Centre d’expérimentation du Pacifique (CEP) en 1964, destiné à héberger les essais nucléaires français et la construction d’infrastructures militaires mais aussi civiles autour de celui-ci (dans l’archipel des Gambier) ainsi que dans la « base arrière » que constitue alors Papeete. Ce processus entraîne une intensification des mobilités : de nombreux polynésiens quittent leur île d’origine pour aller travailler dans ces chantiers. Ainsi, dans les années 1960 et 1970, les archipels périphériques (les Australes, les Marquises et les Tuamotu) sont en proie à une émigration massive. Simultanément, la population de Papeete s’accroît de 316%. Ce processus a donc eu pour effet d’accentuer les inégalités entre cet hyper-centre et les marges du territoire (Merceron et Morschel 2013). Du fait de l’importante densité de population dans la commune de Papeete, des quartiers de migrants se constituent alors dans la zone suburbaine de l’agglomération. Dans ces quartiers ainsi que dans certaines parties du centre-ville, les migrants se regroupent le plus souvent par familles élargies. La parentèle constitue ainsi un relais essentiel pour les nouveaux arrivants : elle leur fournit un logement temporaire et contribue à la recherche d’une maison ou d’un travail. Il est d’ailleurs courant que plusieurs familles apparentées construisent leurs maisons sur un terrain loué par l’un de ses membres, arrivé en premier (Ringon 1971). Les îles la Société regroupent aujourd’hui 87,9% de la population parmi lesquels 49,6% résident dans la zone urbaine de Papeete (Recensement 2017). Elle regroupe également la majorité des services publics tels que l’offre scolaire et les établissements de soin, ainsi que de l’essentiel activité économique. Cela en fait la destination de nombreuses mobilités issues des périphéries, en particulier de jeunes gens souhaitant poursuivre leurs études ou trouver du travail (Sierra-Paycha et Lesage 2019). L’agglomération connaît par ailleurs un marché du logement particulièrement tendu (Ellacott 2014). Dans un tel contexte la famille constitue, aujourd’hui encore, un ressort essentiel des mobilités vers la capitale. De plus, les réseaux que forme la famille élargie sont vecteurs d’obligations parmi lesquelles l’hospitalité tient une place centrale dans la culture polynésienne (Bastide 2020). Ainsi, la mobilité des jeunes adultes est à l’origine de la majorité des recompositions de ménages sur le territoire : c’est donc élément clé de la production de ménages complexes (Sierra-Paycha et al. 2022). Ces-derniers constituent d’ailleurs près d’un quart des ménages polynésiens et un de leurs traits caractéristiques est l’accueil de nouveaux membres (Fardeau et al. 2022). Si l’émigration constitue un ressort important et bien souvent nécessaire pour habitant·es des îles périphériques, la stabilisation de la population des archipels est aujourd’hui une condition du maintien de l’ordre social (d’Hauteserre 2004). La diversification des activités (perliculture, artisanat, tourisme, etc.) et les nombreux des emplois publics (Trabut, Lelièvre, et Sierra-Paycha 2022) contribuent ainsi au maintien de la population de ces îles, voire au retour de certain·es. La prédominance historique des mouvements circulatoires et le maintien de liens forts avec le lieu d’origine, parfois à travers les générations (Bambridge 2004) ainsi que la propriété de la terre en indivision les favorisent également. Cette vision de la mobilité comme provisoire et inscrite dans un parcours explique en particulier que certains identifient leur espace de vie, non pas en référence à une « résidence habituelle » mais plutôt à un « réseau de résidences » (d’Hauteserre 2004). Cela résonne avec le fait que la grande majorité des familles polynésiennes se répartissent sur plusieurs archipels (Fardeau, Lelièvre, et Sierra-Paycha 2021). Elles forment ainsi potentiellement une infrastructure d’accueil migratoire pour leurs membres. Cette communication vise donc à montrer en quoi les familles polynésiennes constituent des réseaux de résidences, répartis sur plusieurs archipels et favorisant la mobilité de leurs membres. Il s’agira donc confronter les lieux de résidence passés et présents des personnes avec leurs ancrages familiaux de sorte à montrer comment la famille sert de support aux mobilités. Elle repose en particulier sur l’étude des ménages à partir des données de recensement ainsi qu’une description des lieux d’ancrage des familles polynésiennes réalisée à partir de l’enquête Feti’i e Fenua (Fardeau, Lelièvre, et Sierra-Paycha 2021).

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