« Continuités, discontinuités, ruptures »

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23 mai 2019

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Jonathan Ivan Pezzetta et al., « « Continuités, discontinuités, ruptures » », HAL-SHS : histoire, ID : 10670/1.sma8r7


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« Le roi est mort vive le roi ! »1 De prime abord, un événement comme la mort d’un roi peut être considéré comme une rupture chronologique ayant des conséquences politiques et géopolitiques ; cependant un décès royal introduit aussi, très nettement à partir des funérailles de Charles VI en 1422, une idée de continuité du pouvoir puisqu’un roi succède aussitôt à un autre. C’est la thèse des « deux corps du roi » chère à E. Kantorowicz, le corps physique est mortel mais le corps politique ne cesse d’être incarné. Si dans la sphère politique, la mort d’un souverain a parfois des répercussions importantes (la mort d’un prince induisant également une discontinuité puisqu’un changement de règne peut impliquer un changement de gouvernance notamment par le renouvellement total ou partiel du personnel politique), il n’en va pas forcément de même dans le domaine économique ou social. La mort d’Henri II produit des bouleversements politiques mais, dans les campagnes françaises, ne suscite pas de changements majeurs. S’agissant des habitudes de vie, les césures paraissent plus progressives.« Continuités », « discontinuités », « ruptures », ces termes, fréquents chez les historiens, constituent d’importants outils d’analyse et appellent des définitions. La notion de continuité suppose un phénomène installé dans le temps, marqué par une absence presque totale d’interruption. Sur un plan littéraire, Chateaubriand ne disait-il pas : « ...vous me demandez où je vais si tard ? Ne sentez-vous pas combien il est dur de me reprocher la continuité de mes voyages ? »2. La notion de rupture se définit par une coupure brutale et franche entre deux situations, l’une passée et l’autre actuelle, à l’image de la Révolution française (même si tout un courant historiographique emmené par François Furet avait insisté sur la nécessité dedéconstruire cette lecture en rupture, installant 1789 dans le temps long des « révolutions atlantiques » en amont et des enjeux révolutionnaires du XIXe siècle en aval). Le concept de discontinuité renvoie pour sa part à l’idée d’interruptions, d’irrégularités, de variations, d’intermittences. Présente aussi en en géographie où la discontinuité renvoie à la séparation physique de deux espaces différents, la notion implique parfois l’idée de crise.« Continuités », « discontinuités », « ruptures » sont au pluriel et induisent des jeux de représentations multiples. Les perceptions varient selon les échelles géographiques et les domaines d’activité. Un même événement peut être considéré comme une rupture par certains, comme une simple discontinuité pour d’autres, voire ne pas être appréhendé dans sadynamique de changement par d’autres encore. Ainsi, l’année 1968, véritable séisme pour le monde étudiant et universitaire français, possède-t-elle la même force de rupture pour le monde paysan ? Comme l’a souligné Fernand Braudel, il y a des rythmes différents de temporalité à considérer selon le secteur de l’activité humaine observé.Par ailleurs, l’historien doit se garder d’une vision des faits historiques trop centrée sur le monde occidental. L’année 1945, année charnière dans le monde occidental, est moins perçue comme telle en Chine où les manuels d’histoire insistent sur la reprise de la guerre civile entre nationalistes et communistes jusqu’à la victoire de ces derniers en 1949. Sans parler non plus du caractère parfois artificiel de ces divisions du temps en périodes et en siècles, dont les limites ont déjà été soulignées. Discontinuités et ruptures peuvent renvoyer aux concepts de frontières ou de limites entre territoires, aux échelles locales, régionales, nationales ou mondiales. Les enjeux épistémologiques liés à ces échelles de temporalité demandent réflexion. Un événement, c’est-à-dire selon la définition d’Arlette Farge « un moment, un fragment de réalité perçue [...] qui détermine un avant et un après »5, constitue-t-il une rupture ou bien se situe-til dans un temps long impliquant une mémoire construite de cet événement ? La perception d’un événement reste forcément partiale et partielle car comme le rappelle Georges Gurvitch « la validité de la vérité historique dépend du cadre de référence auquel elle se rapporte. La vérité historique est la plus idéologique de toutes les vérités scientifiques. »6. Par ailleurs, ainsi que le note Christophe Prochasson « il est bien rare qu’un « tournant » soit perçu dans sa contemporanéité »7. En effet, ce sont souvent les historiens qui estiment après coup qu’un événement constitue une rupture, alors que les contemporains le perçoivent comme une simple discontinuité. De là vient l’artifice des ruptures chronologiques sur le plan scolaire, qui permettent néanmoins de trouver un certain ordre aux faits historiques.Cette problématique des discontinuités et des ruptures présente enfin une dimension historiographique. L’école positiviste, de la fin du XIXe siècle, privilégiait le temps court de l’événement. Elle a alimenté les critiques sur « l’histoire bataille » et a été perçue par ses contemporains comme une histoire qui « essentialisait les dates »8. L’école des Annales, et dansune moindre mesure celle de la Nouvelle histoire, ont privilégié le temps long des structures qui permet d’apprécier l’évolution des sociétés. L'histoire des femmes, longtemps ignorée au point que dans les années 1970 Michèle Perrot se demandait de manière provocatrice si les femmes avaient une histoire9, a émergé si fortement depuis les années 1980 qu’il n’est plus possible de penser aujourd’hui une histoire sans femme 10 . D’autres ruptures historiographiques pourraient être notées, comme celles de la micro-histoire, du genre, du corps ou encore des émotions.Les jeunes chercheurs s’inscrivent dans la continuité de ces mouvances historiographiques et sont confrontés de manière directe et indirecte, par le biais de leurs recherches, à ces notions de continuités, discontinuités et ruptures de l’étude historique.

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