2011
Cairn
Patrick Champagne, « Le coup médiatique : Les journalistes font-ils l'événement ? », Sociétés & Représentations, ID : 10670/1.ua8qf4
Contre les approches réalistes et nominalistes, qui ont en commun d’oublier que ce n’est pas à l’analyste de dire ce qu’est et ce que n’est pas un événement, cet article s’attache à montrer que la définition de l’événement est précisément l’enjeu d’une lutte, et que c’est cette lutte qu’il importe de prendre pour objet. Le travail scientifique en la matière consiste alors à prendre en compte l’ensemble des acteurs sociaux qui sont en lutte pour imposer une certaine idée de ce qu’est censé être un événement. En l’occurrence, la notion d’événement est devenue fortement dépendante de l’industrie des médias ; elle est inhérente au fonctionnement même des salles de rédaction au point qu’on ne sait plus très bien si la presse « met en une » les événements qui existent indépendamment des journalistes ou si c’est le fait d’être mis en une qui contribue à faire ce qu’on appelle un événement. Les journalistes en effet ne sont pas de simples intermédiaires se bornant à diffuser et à commenter des événements qui existeraient en soi, en dehors d’eux, et qui seraient aisément saisissables. Ils ont leur propre conception de l’événement qui n’est pas celle de l’historien, de l’homme politique ou du citoyen ordinaire. Ils sont de plus soumis à la pression de ceux qui, parce qu’ils estiment que c’est leur intérêt, veulent que l’on parle d’eux dans les médias, et tentent, avec l’aide de conseillers en communication, de « faire événement ». Cela signifie qu’un journaliste, ou même un journal, ne peuvent pas décider à eux seuls de ce qui doit être considéré comme un « événement » : chacun, dans le champ journalistique, y contribue seulement à la mesure de la position qu’il occupe dans cet espace. Analysant de près comment ont été « faits » plusieurs événements médiatiques récents (campagne contre l’insécurité routière de 2003, l’affaire du RER D en 2004, notamment), cette étude démontre ainsi combien l’événement est le fait d’une construction collective qu’il faut rendre à ses logiques sociales.