2012
Cairn
Paul Henry, « Tirer lalangue », Essaim, ID : 10670/1.utjcke
Ainsi que l’a posé Jean-Claude Milner il y a déjà fort longtemps, quelque chose échappe à la linguistique conçue comme le projet d’une représentation formalisée ou formalisable de la langue, quelque chose de non représentable et de non formalisable, dont elle ne saurait rendre compte, mais dont elle se voit cependant appelée à restituer les effets dans sa notation : l’énonciation et le sujet qui la supporte. Pour surmonter cette impasse, le linguiste a recours à des artifices d’écriture hétérogènes à sa propre notation. Il ne s’agit pas ici de reprendre l’exposé de ces analyses mais d’explorer la signification et la portée de cette singulière situation. Il ne va pas de soi que, inscrite dans l’axe de ce projet, la linguistique soit néanmoins possible. Dès lors de quoi cela atteste-t-il ? Cette possibilité n’est en rien différente de celle qui permet les mots d’esprit, les jeux de mots, les calembours, les lapsus, la métaphore, la poésie, voire le mot d’ordre ou le slogan, ou encore le travail analytique. Car tout cela passe nécessairement par les formes que la linguistique représente en dehors desquelles rien ne peut se dire ou s’énoncer, alors même qu’elle n’a rien à en dire par elle-même. Que la linguistique soit possible, qu’elle se plie à de la formalisation, indique que les contraintes que la langue impose sont de pure forme. Qu’il y ait métaphore, quand bien même cela se réalise dans la langue, n’en dépend aucunement. Que la métaphore puisse faire signe, c’est-à-dire sens, ne tient qu’à ce qu’un signifiant puisse représenter un sujet pour un autre signifiant, soit donc qu’il ait lalangue, ce par quoi un être puisse être dit parlant. Il s’ensuit que jouer sur lalangue concerne le sujet comme parlêtre et non la langue, ce sujet ponctuel et évanouissant qui peut s’en trouver affecté.